L’ENFANT SOURD, L’ENFANT MIGRANT

ET L’APPRENTISSAGE DE LA LANGUE

FRANCAISE

Sommaire

INTRODUCTION

PARTIE 1 : Enfants sourds – Enfants migrants

A. L’enfant sourd, un enfant nécessairement bilingue ?
 

  1. La question du bain de langage
a) Typologie des déficiences auditives

b) Conséquences sur le plan psychologique, social et éducatif :
 

  1. Environnement familial et choix de communication
  1. La langue des signes française
  2. Le Langage Parlé Complété (LPC) ou Cueed Speech
3) Les conditions du bilinguisme de l’enfant sourd B. Les enfants migrants : une situation de rupture
    1. Migration et projet parental
  1. Un public hétérogène confronté à une même situation de rupture
  2. La motivation des parents
    1. Les structures d’accueil
a) Les CRI

b) Les CLIN

PARTIE 2 : L’enfant sourd et l’enfant migrant, des enfants contraints au bilinguisme : Les fondements de la comparaison

A. Français Langue Etrangère et Français Langue Seconde

    1. Définition du concept FLS
    2. Cas de l’enfant sourd, de l’enfant migrant
B. Les fondements de la comparaison
    1. Les parents nourriciers linguistiques ?
    2. Une langue première au service d’une langue seconde ?
    3. La nécessité d’apprentissage rapide d’une langue support d’enseignement
C. … et ses limites
    1. La question du bilinguisme
    2. Les ressources supplémentaires
  1. Le bilinguisme : un choix institutionnel
PARTIE 3 : Applications pédagogiques
  1. Le Français Langue Etrangère : une pédagogie spécifique
1) Evolution de la méthodologie du FLE
  1. Les méthodes traditionnelles
  2. La méthode directe
  3. La méthode structuro-globale-audio-visuelle (SGAV)
  4. L’approche communicative
2) Des manuels de FLE aux manuels de FLM
  1. Applications pédagogiques
1) La centration sur l’apprenant

2) Approche communicative et fonctionnelle de la langue française

  1. Communication orale
  2. Lecture et écriture
3) Interactivité et approche ludique

4) Le matériel complémentaire

5) Les limites des méthodes de FLE

CONCLUSION

INTRODUCTION







" Le langage ", écrit C. DUBUISSON, "est la faculté qui permet aux humains de communiquer de façon spécifique […] et se réalise en différentes langues naturelles ".

" Une langue naturelle ", poursuit l’auteur, " est bien plus que la liste des mots de son dictionnaire et les règles de sa grammaire, elle est en quelque sorte une façon de voir le monde à l’intérieur d’une culture donnée ".

Pendant deux ans, j’ai enseigné en classe d’initiation pour enfants migrants. Leurs origines ethniques, géographiques, sociales ou linguistiques sont différentes, et ils ont une vision du monde qui n’est pas la nôtre parce que façonnée par leur propre langue et leur propre culture.

Cette année de formation au CAAPSAIS m’a permis de découvrir une autre forme de bilinguisme, où l’une des langues n’est plus vocale mais visuo-gestuelle, et d’être sensibilisée à une autre culture, la culture sourde.

L’enfant sourd comme l’enfant migrant semblent partager les mêmes difficultés pour acquérir la langue française orale et écrite. Cette supposition fût le départ de ma réflexion.

J’ai d’abord cherché à expliquer la cause ou l’origine de ses difficultés en présentant ces deux publics, puis à comparer ces deux formes de bilinguisme tout en précisant les limites de cette comparaison. Puisque les méthodes de Français Langue Etrangère (FLE) sont généralement utilisées avec les enfants migrants notamment au début de leur scolarisation, je me suis alors interrogée sur les possibilités d’adaptation de ces méthodes avec des enfants sourds.

PARTIE 1

Enfants sourds – Enfants migrants









L’Article premier de la loi d’Orientation du 10 juillet 1989 stipule que " le droit à l’éducation est garanti à chacun … " et que " l’acquisition d’une culture générale et d’une qualification reconnue est assurée à tous les jeunes, quelle que soit leur origine sociale, culturelle et géographique. L’intégration scolaire des jeunes handicapés est favorisée. Les établissements et services de soins et santé y participent ".

L’école doit " contribuer à l’égalité des chances " du plus grand nombre d’enfants en proposant des itinéraires adaptés pour la réussite de chacun.

Les enfants sourds et les enfants migrants forment deux publics aux besoins spécifiques, pour lesquels la capacité à communiquer en français et l’entrée dans l’apprentissage sont un défi. La cause ou l’origine de ces difficultés est différente.

Les premiers sont atteints d’un handicap sensoriel. La conséquence essentielle de la surdité est, dans la plupart des cas, un développement particulier du langage, parce que les enfants sourds ne bénéficient pas d’imprégnation sonore et verbale, base de l’appropriation de la parole.

Les seconds, à leur arrivée en France, vont devoir débuter ou continuer leurs apprentissages dans une langue qu’ils ne connaissent pas, et dans un contexte socioculturel différent de leur pays d’origine.

Il s’agit dans un premier temps de présenter ces deux publics tout en essayant d’établir des éléments de comparaison. Dans quel cas la situation de l’enfant sourd se rapproche-t-elle de celle de l’enfant migrant ?

  1. L’enfant sourd, un enfant nécessairement bilingue ?
Dans la grande majorité des cas, les enfants sourds sont issus de familles entendantes.

Pour le jeune enfant migrant, l’acquisition d’une première langue se fait naturellement, comme pour les 5% d’enfants sourds qui, ayant des parents sourds, peuvent s’approprier une première langue gestuelle. Tandis que tout le processus du développement d’une première communication est faussé entre l’enfant sourd et ses parents entendants.

Si le degré de surdité et de réhabilitation prothétique sont essentiels dans la problématique de l’acquisition d’une première langue - un enfant sourd léger ou moyen n’aura pas les mêmes difficultés que celui atteint d’une surdité sévère ou profonde - l’environnement familial est également primordial : les parents ne sont pas toujours en mesure de s’investir afin d’aider leur enfant à construire son propre langage.

La loi Fabius du 18 janvier 1991 donne " aux jeunes sourds et à leur famille la liberté de choix entre communication bilingue - langue des signes et français – et une communication orale ". Quelles sont les conditions du bilinguisme de l’enfant sourd ? La situation de l’enfant sourd peut-elle être alors comparée à celle de l’enfant migrant ?

    1. La question du bain de langage
a) Typologie des déficiences auditives :

On distingue les déficiences auditives de transmission touchant l’oreille moyenne et accessibles aux traitements médicaux, et les déficiences auditives de perception, plus graves et irréversibles, consécutives à des atteintes de l’oreille interne, la cochlée.

Si la surdité légère a des répercussions sur l’intelligibilité de la parole et la reconnaissance de certains indices acoustiques, les enfants atteints de ce degré de surdité ne présentent pas, en général, de difficulté d’acquisition de la parole et peuvent suivre une scolarité normale.

Pour la plupart des enfants atteints de surdité légère ou moyenne, l’appareillage audio prothétique est indispensable et l’apprentissage de la parole est possible à l’aide d’un soutien orthophonique. Ceux-ci sont essentiellement scolarisés en milieu entendant.

Dans le cas de surdité sévère ou profonde, le port de prothèses auditives permet à l’enfant de percevoir l’existence d’un monde sonore et de relever les courbes liminaires d’audition. Mais ce gain est relatif, selon B. VIROLE, dans le cas de déficiences auditives importantes.

Il ne permet parfois " aucune acquisition spontanée de la parole dont l’enfant continue à ne pas percevoir les caractéristiques acoustiques " (D. BOUVET). L’appropriation de la langue vocale est difficile et prend du temps.

La communication orale est artificielle. E. LABORIT, dans son livre le cri de la mouette (1994) témoigne : "Le mur invisible qui me séparait des sons … était à la fois vitre transparente et béton. Je m’agitais d’un côté de ce mur et les autres faisaient de même de l’autre côté ". La compréhension du message demande un effort cognitif considérable (lecture labiale, gestion en temps réel d’hypothèses pour compléter les manques) et exclut l’enfant sourd de la communication de groupe.

Ce retard dans l’apprentissage du langage peut avoir des conséquences dramatiques sur le développement psychologique, affectif et social de l’enfant.

  1. Conséquences sur le plan psychologique, social et éducatif :
B. VIROLE s’insurge contre l’idée communément admise que le retard de l’acquisition du langage chez l’enfant sourd va de soi. " Il se paie d’un préjudice grave … et sur tous les plans ".

- Les jeunes enfants sourds, non initiés à la langue des signes précocement vivent des situations affectives traumatisantes : " ils n’ont pas la capacité de lier leurs éprouvés d’angoisse à des signifiants linguistiques ".

L’absence ou le retard du développement du langage a aussi des répercussions sur le plan cognitif parce que les signifiants linguistiques sont une aide au développement de l’intelligence.

L’enfant sourd a des difficultés à trouver sa place dans la cellule familiale, à se construire en tant que sujet symbolique et peut se trouver à l’adolescence " en marge du monde social … et de sa famille. "

- Sur le plan éducatif " la démutisation et l’apprentissage de la langue orale restent des impératifs pédagogiques absolus ". (circulaire du 7 septembre 1987). C. CUXAC dénonce cet état de fait : " Le drame […] est bien que les éducateurs, les enseignants spécialisés, aient emboîté le discours médical, contradictoire à la mission de l’école, qui est d’éduquer, non de rééduquer ". Cette affirmation est à nuancer : depuis les années 70, les pratiques pédagogiques ont évolué vers plus de souplesse. Celle-ci apparaît dans la formulation du texte de la loi Fabius du 18 novembre 1991 qui reconnaît la possibilité d’une éducation bilingue pour les enfants sourds ; cette année au CNEFEI à Suresnes, je bénéficie dans ma formation d’une initiation à la langue des signes.

Ainsi, il n’existe pas un enfant sourd mais des enfants sourds. Selon le degré de surdité, et le niveau de réhabilitation prothétique, le parcours sera plus ou moins long et difficile pour l’enfant sourd avant qu’il n’acquière la langue orale malgré les progrès technologiques (ex : les prothèses numériques) et l’évolution des pratiques pédagogiques. Cette problématique – l’accès à une première langue – est spécifique de l’enfant sourd et non de l’enfant migrant. Cependant un autre facteur influant peut contrecarrer le pronostic d’apprentissage de la parole, même pour une déficience auditive moyenne : il s’agit de l’environnement familial.

2) Environnement familial et choix de communication Dès l’annonce du diagnostic de la surdité, la famille est accueillie par une équipe pluridisciplinaire (psychologue, pédopsychiatre, orthophoniste, audioprothésiste, médecin …) dans un Service d’Accompagnement Familial et d’Education Précoce (SAFEP) ou un Service de Soutien à l’Education Familiale et à l’Intégration Scolaire (SSEFIS). Le but de l’accompagnement familial est d’apporter un soutien psychologique lié à l’annonce du handicap, d’informer les parents sur la surdité – rôle de l’appareillage et aides possibles à la communication – et de restaurer une communication verbale et extra verbale avec l’enfant. Les méthodes de rééducation ont évolué (précocité de la prise en charge, verbo-tonale, Langage Parlé Complété, utilisation de tous les canaux sensoriels) afin de développer un désir de communication et de redonner aux parents toute leur place.

On pense aujourd’hui qu’il est important d’exposer l’enfant à un " modèle complet de langue ". Les parents vont devoir faire un choix, qu’il s’agisse de la langue des signes française (LSF) ou de la langue orale avec ou sans codage complémentaire comme le langage parlé complété (LPC).

  1. La langue des signes française

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    Longtemps considérée comme un palliatif composé essentiellement de mime, c’est une langue gestuelle à part entière avec une structure grammaticale et une syntaxe qui lui sont propres. Comme toute langue, elle est doublement articulée et peut être analysée en kinèmes (les signes équivalents des mots ou monèmes) et en cherèmes (configurations, orientations, positions et mouvements de la main, expressions du visage et attitudes du corps sont les paramètres équivalents des phonèmes).

    Contrairement aux langues orales qui sont organisées sur un axe temporel et linéaire, la langue des signes se déroule dans le temps mais aussi dans l’espace. C’est une langue visuelle dont l’accès au sens se réalise par le traitement simultané des paramètres.

  3. Le Langage Parlé Complété (LPC) ou Cueed Speech
C’est une aide à la compréhension du message orale et à la lecture labiale. Les clefs manuelles du LPC, constituées par cinq positions de la main pour les voyelles et huit configurations des doigts pour les consonnes, permettent une visualisation complète de la phonologie. La maîtrise de ce code au rythme naturel de la parole est difficile.

Les parents sont détenteurs de ce choix. Ils vont devoir se former mais aussi faire adhérer le reste de la cellule familiale.

Toutefois, cela suppose que les familles soient suffisamment informées et qu’elles soient en état de faire ce choix. L’annonce du handicap provoque l’effondrement des parents : leur volonté de se former à l’un ou l’autre de ces modes de communication suppose l’acceptation difficile du handicap et de la différence de leur enfant. D’autre part, le choix d’une éducation oraliste ou bilingue se heurte à une réalité géographique qui est parfois toute autre : selon les régions, les parents sont confrontés à des choix plus modestes.

Enfin, cela suppose une grande disponibilité des parents (temps de formation en LSF ou LPC sans en oublier les données financières) et une attention soutenue à l’enfant : toute difficulté sociale ou familiale est un obstacle dans la prise en charge éducative de l’enfant.

En d’autres termes, selon la nature de l’environnement familial – favorable ou défavorable – les chances de l’enfant d’accéder à son propre langage sont compromises. Ainsi, certains enfants sourds arrivent dans les centres spécialisés sans maîtriser ni la langue des signes ni la langue orale.

L’investissement des parents est primordial. Toutefois, par manque d’information, de disponibilité, parce qu’ils n’ont pas accepté le handicap de leur enfant, en raison de difficultés sociales, ou parce qu’ils en laissent la responsabilité aux spécialistes, les parents ne sont pas toujours prêts à s’investir personnellement dans une formation à la LSF ou au LPC. Nous verrons que le rôle des parents est également prépondérant dans le devenir de l’enfant migrant, même si ceux-ci n’ont pas de tels choix à faire. Il s’agit maintenant de s’interroger sur le bilinguisme de l’enfant sourd.

    1. Les conditions du bilinguisme de l’enfant sourd.
" Heureusement " écrit B.VIROLE " dans la majorité des cas, il y a acceptation – même tardive – de la réalité et de la différence ". L’auteur estime que " la langue des signes peut permettre d’éviter à ces parents le long travail de deuil et de favoriser cette acceptation, de l’aider … ".

Aujourd’hui, de nombreux spécialistes s’accordent pour dire que la langue des signes est la seule langue que l’enfant sourd sévère ou profond de naissance peut s’approprier de façon naturelle. Elle est la seule langue, écrit D. BOUVET , qui " permet à l’enfant sourd d’accéder à toutes les caractéristiques de la parole " et " de se constituer normalement et sans retard dans son être de sujet parlant ". Elle peut lui permettre d’accéder à des idées abstraites et d’acquérir des connaissances.

" La condition idéale pour la mise en place d’un projet bilingue " explique E.SEPULCHRE-MANTEAU " est que la famille entière partage ce projet et apprenne la langue des signes pour amorcer le plus rapidement possible une communication multimodale avec son enfant ".
Cela suppose également que l’enfant sourd soit régulièrement et précocement mis en contact avec des adultes sourds, locuteurs compétents de la langue, afin de permettre une acquisition la plus proche possible de celle de toute langue maternelle orale pour l’enfant entendant.

Le projet bilingue inclut l’acquisition, même imparfaite, de la langue orale comme outil de communication, et comme moyen d’identification de l’enfant sourd à ses parents et à son entourage familial. Elle est aussi un facteur d’intégration sociale. Enfin, " la découverte de la langue vocale orale, dans son fonctionnement phonologique, syntaxique, culturel ", est , selon le même auteur, utile à l’enfant sourd pour qu’il puisse s’approprier la langue écrite.

On sait que l’enfant sourd ne possède pas les mêmes compétences pour acquérir la langue orale : en raison du handicap, cette acquisition est longue et difficile. C. CUXAC écrit " les seules langues qui, pour des petits enfants sourds, peuvent être l’équivalent théorique d’une première langue, sont les langues des signes ".

Tous les éléments en faveur d’une appropriation précoce de la LSF, mais aussi ceux en faveur d’une acquisition nécessaire de la langue orale et de la langue écrite, montrent que l’enfant sourd est amené à devenir un sujet bilingue.

Si la langue des signes, parce qu’il peut se l’approprier naturellement et se situer en tant que sujet parlant, est sa langue première, alors l’enfant sourd serait dans la même situation que l’enfant migrant dont la langue maternelle n’est pas la langue française. Avant de considérer les éléments de comparaison entre ces deux publics dans une seconde partie, nous devons nous interroger sur le cas de l’enfant migrant.

  1. Les enfants migrants : une situation de rupture.
Les jeunes étrangers arrivent en France à n’importe quel moment de l’année, principalement dans le cadre de regroupement familial. Ils ont des âges variables et forment un public très hétérogène du point de vue de l’origine ethnique, géographique, sociale et linguistique. Ils se différencient également par leur passé scolaire ainsi que par leur connaissance du français. Cependant, tous sont confrontés à une situation de rupture, liée au changement d’univers humain, social et culturel. Si la scolarisation des enfants migrants est un facteur prépondérant d’accélération de l’adaptation de la famille, l’existence d’un projet parental fort est primordial dans la réussite scolaire de l’élève. Ainsi, chaque année, " 6 à 7000 enfants et adolescents […] sont accueillis dans des structures spécifiques ", dont l’objectif essentiel est de permettre à ces jeunes d’apprendre le français et de s’intégrer le plus rapidement possible dans le système scolaire ordinaire. Dans l'enseignement primaire, ces structures sont les CRI ou Cours de Rattrapage Intégré et les CLIN ou Classe d’Initiation dont les modalités de fonctionnement sont source d’interrogations.
 
 
  1. Migration et projet parental.
Les enfants issus de l’immigration arrivent avec un passé, une vision du monde et de la vie sociale façonnés par leur culture. Leur histoire est différente, mais tous vont devoir se familiariser avec un environnement nouveau, une langue inconnue et des pratiques culturelles et scolaires très différentes.

S’il existe un écart encore important en terme de réussite scolaire entre les enfants issus de l’immigration et leurs camarades français, celui-ci n’est pas uniquement lié au fait d’être " étrangers ", mais aussi à l’existence d’un projet parental fort. N’en est-il pas de même pour les parents dont l’enfant est sourd ?

  1. Un public hétérogène confronté à une même situation de rupture.
Le public des classes d’initiation est un public hétérogène du point de vue des origines géographiques et linguistiques des élèves, de leur âge et surtout de leur niveau de scolarisation dans leur pays d’origine. Si le fait d’avoir été scolarisé est bien sûr facteur de réussite, il est important de connaître les conditions de scolarisation dans le pays d’origine. - une situation de rupture : c’est le point commun des enfants primo-arrivants. Cette rupture

liée au changement sera plus ou moins bien vécue selon que l’enfant y aura été préparé. Le

Dr REVAZ NAVID NICOLADZE évoque " une triple migration " :

- horizontale : écart entre la ville et la campagne.

- verticale : écart entre l’ancien et le nouveau statut social.

- transculturelle : écart entre la tradition et la modernité.

L’accueil des enfants migrants demande une certaine vigilance de la part de l’enseignant. Une période d’observation plus ou moins longue est souvent nécessaire. Partant du postulat que l ‘élève étranger possède " comme tous les autres une somme de connaissances scolaires ou informelles " , C.PERREGAUX propose de prévoir " une période d’observation-action, étape transitoire précédant l’entrée dans la langue ".

Cette situation de rupture constitue une problématique spécifique de l’enfant migrant. Il s’agit aussi d’une " rupture avec les modèles parentaux ", qui oblige l’enfant à se situer entre deux modèles différents : celui des parents et celui de l’école et de la réalité extra scolaire. Mais n’avions-nous pas évoqué pour l’enfant sourd la possibilité que celui-ci se retrouve à l’écart de sa famille ? Quant à l’hétérogénéité, elle est commune aux deux publics notamment en termes de niveau de maîtrise de la langue française, de motivation individuelle et d’âge.

  1. La motivation des parents.
Le Dr REVAZ NAVID NICOLADZE souligne l’importance du projet parental. Pour les parents " la réussite [scolaire] peut compenser l’abandon de la mère patrie et légitimer le choix de l’exil ". En effet, les familles migrantes attendent et espèrent beaucoup du système éducatif : ils ont une " confiance absolue " dans l’école. L’école est synonyme de réussite sociale, de profession. Il a d’ailleurs été démontré lors d’une étude menée par la Direction de l’Evaluation et de la Prospective (DEP) en 1995, qu’à statut social comparable, les élèves immigrés réussissent mieux leur scolarité que leurs camarades français, ceci grâce au rôle central de la motivation et de la demande familiale.

La scolarisation de l’enfant est également une aide à l’insertion des parents notamment par la découverte progressive de la société d’accueil ou dans leur propre démarche pour s’inscrire à des cours de français pour adultes.

Les conditions de vie des familles rejoignantes sont souvent destabilisantes : accueil centralisé dans l’attente d’un appartement, qualification des parents non reconnue et statut social différent en France. Aujourd’hui on vise à améliorer l’accueil initial des familles, coordonné par les diverses administrations et services auxquels elles auront à faire (informations sur la vie en France, présence de médiateurs bilingues, évaluation des élèves).

  1. Les structures d’accueil.
Les Cours de Rattrapage Intégré (CRI) et les Classes d’Initiation (CLIN) sont destinés " aux enfants non francophones nouvellement arrivés en France " de 7 à 12 ans. Leurs modalités de fonctionnement sont définis par la circulaire du 13 mars 1986.
  1. Les CRI :

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    D’une durée de quelques heures par semaine, ils sont destinés à de petits groupes d’élèves scolarisés dans les classes ordinaires.

  3. Les CLIN :
Elles " regroupent un nombre relativement restreint d’élèves pour leur dispenser un enseignement spécifique " et doivent fonctionner en "structures ouvertes ", c’est-à-dire avec la possibilité de décloisonnement dans les classes ordinaires.

L’inscription de chaque élève est double : il est administrativement inscrit dans la classe correspondant à son âge et pédagogiquement – pour une durée plus ou moins longue mais ne devant pas excéder une année – en classe d’initiation.

La circulaire du 13 mars 1986 préconise un fonctionnement en " structures ouvertes ".

Lorsque la CLIN fonctionne en structure fermée, l’intégration se fait le plus souvent au bout d’une année. La structure ouverte permet à l’élève de " suivre dans d’autres classes des enseignements qui lui sont profitables ". Cependant cette même circulaire ne donne aucune précision quant aux disciplines concernées.

Les modalités de fonctionnement des structures d’accueil pour enfants migrants répondent à la politique générale d’intégration de l’Education Nationale. La difficulté pour l’enfant migrant réside, comme le souligne D. BOYZON-FRADET, dans le passage d’un milieu protégé à " un milieu où se cumulent toutes les exigences, linguistiques, intellectuelles et culturelles ".

Il me semble que cette difficulté est comparable à celle de l’enfant sourd scolarisé partiellement ou à temps complet dans le milieu scolaire ordinaire : il s’agit bien du même passage d’un milieu protégé (la classe d’intégration scolaire) à un milieu de toutes les exigences.

Pour conclure cette première partie, je citerai B. VIROLE qui, à propos des enfants sourds, écrit : "  Les enfants sourds ont une construction psychologique différente, ils ont un rapport à une langue qui est différente […] Il y a une différence, autant l’accepter, le monde est fait de différences. " L’enfant migrant est lui aussi un enfant " différent " : sa langue maternelle n’est pas le français, il a une histoire et une vision du monde façonnée par sa culture.

Pour l’enfant sourd comme pour l’enfant migrant, les parents ont un rôle primordial : si la problématique n’est pas la même – pour les uns accepter le handicap et permettre à leur enfant d’accéder à son propre langage, pour les autres soutenir leur enfant pour que sa réussite puisse " légitimer le choix de l’exil " – leur investissement dans le suivi du travail scolaire, leur ambition sont une aide prépondérante. On pourrait également faire un lien entre cette acceptation de l’exil pour les familles migrantes et le deuil de l’enfant idéal pour les parents d’enfants sourds.

La scolarisation de ces enfants est un triple défi : à l’élève, à sa famille et bien sûr à l’école. Leur intégration est la mission du système scolaire dans son ensemble : elle a la responsabilité de l’enseignant spécialisé ou de celui des classes d’accueil mais aussi de toute l’équipe pédagogique ou thérapeutique. Dans la partie suivante, nous aborderons les éléments de comparaison entre l’enfant sourd et l’enfant migrant.

PARTIE 2

L’enfant sourd et l’enfant migrant,

des enfants contraints au bilinguisme :

Les fondements de la comparaison.









Que signifie le terme bilingue ? Selon les définitions que l’on peut donner, bilingue signifie qui est en deux langues, qui parle et qui connaît deux langues.

Selon F. GROSJEAN, les bilingues sont des personnes qui ont " la capacité de produire des énoncés significatifs dans deux (ou plusieurs) langues […] et qui se servent de deux ou plusieurs langues dans la vie de tous les jours ".

Aujourd’hui, les langues vivantes (avec une dominante pour l’anglais) sont enseignées dès le début du cycle des approfondissements et sont obligatoires au secondaire. A l’université, on peut trouver un éventail de choix plus large. D’après la définition donnée ci-dessus on ne pourrait qualifier de bilingue le lycéen ou l’étudiant qui ne continuerait pas à utiliser la langue apprise et entretenir ses connaissances. Mais connaître une langue, ce n’est pas uniquement connaître son lexique ou sa grammaire, c’est aussi connaître la culture du pays et son histoire.

La définition de F. GROSJEAN – le bilingue se sert de deux langues dans la vie de tous les jours – s’applique bien à l’enfant sourd dont la langue première serait la langue des signes, comme à l’enfant migrant dont la langue première est la langue du pays d’origine. Dans les deux cas, la connaissance et la pratique du français leur sont indispensables pour s’intégrer dans la société au quotidien. Quel est alors le statut du français, langue étrangère ou langue seconde ? Quels sont les points communs entre ces deux publics ? Et peut-on comparer le bilinguisme de l’enfant sourd à celui de l’enfant migrant ?

A. Français Langue Etrangère et Français Langue Seconde

Il s’agit ici de s’interroger sur le statut du français dans les classes d’initiation mais aussi dans les classes d’intégration : Français Langue Etrangère (FLE) ou Français Langue Seconde (FLS) ? Que recouvre le concept de FLS ? Peut-il s’appliquer aux enfants sourds ?

  1. Définition du concept FLS

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    La langue maternelle est acquise " dès le plus jeune âge par simple interaction avec la mère et plus largement avec l’environnement social " (H. BESSE). L’acquisition est naturelle, stable et se fait par imprégnation et appropriation graduelles.

    Quant à la langue étrangère, elle est acquise / apprise dans un second temps, après la langue maternelle ou langue première.

    Le Français Langue Seconde est une langue étrangère qui se définit en terme de statut et des emplois de la langue. C’est une langue officiellement reconnue dont le statut est privilégié (exemple des pays d’Afrique francophones). C’est aussi une langue véhiculaire dans la communication ordinaire entre locuteurs de langue maternelle différente. Enfin, H. BESSE précise qu’il y a " apprentissage / enseignement d’une langue seconde quand ses apprenants ont la possibilité d’être confrontés à elle en dehors des cours qui en relèvent " et de la " pratiquer authentiquement ".

  3. Cas de l’enfant sourd, de l’enfant migrant
Pour l’enfant migrant, la langue française est bien langue seconde apprise / acquise après la langue maternelle.

C’est également le cas de l’enfant sourd de parents sourds dont la langue maternelle est la langue gestuelle.

Pour l’enfant sourd profond de parents entendants, le français est la langue première chronologiquement parce que c’est ainsi que ses parents ont communiqué avec lui jusqu’à l’annonce du handicap. Mais l’enfant sourd ne peut s’approprier naturellement la langue française : cette acquisition se fera plus particulièrement sous forme d’apprentissage (orthophonie). Selon C. DUBUISSON, " il ne peut s’agir à proprement parler de langue première puisque d’une part l’enfant sourd n’a pas un accès total à la langue, et que d’autre part elle lui est forcément enseignée ". Cette affirmation reste à nuancer, il n’existe pas un enfant sourd mais des enfants sourds : certains sourds profonds ont une maîtrise affirmée de la langue orale française et refusent la langue des signes qu’ils trouvent stigmatisante. Dans ce cas, le français reste bien langue première ou maternelle.

C. DUBUISSON partage l’avis de C. CUXAC pour qui seule la langue des signes peut être " l’équivalent théorique d’une langue première " pour l’enfant sourd profond.

Nous avions défini dans la première partie les conditions du bilinguisme de l’enfant sourd : une appropriation précoce de la LSF, une acquisition nécessaire de la langue orale et écrite. En raison de la surdité, l’enfant ne possède pas les mêmes compétences pour s’approprier la langue vocale française. Pour cette raison, elle est selon E. SEPULCHRE-MANTEAU " langue seconde ". D. BOUVET évoque "  un pont de communication " le français signé – mélange de français et de langue des signes – qui devient la langue de toute la famille.

La situation de l’enfant sourd initié précocement à la LSF est alors comparable à celle de l’enfant migrant. Dans les deux cas, les enfants sont bien " confrontés " à langue française dans et en dehors de l’école. La différence – au bénéfice de l’enfant sourd de parents entendants – est que la famille peut être un soutien efficace et compétent pour l’apprentissage de la langue seconde. Mais ce n’est pas le cas si les parents sont également sourds.

Si l’on considère que la langue des signes est la langue naturelle, première de l’enfant sourd, alors la grande différence entre l’enfant sourd et l’enfant migrant est que l’acquisition de la langue première ne se fait pas systématiquement dans la famille puisque environ 5 % des enfant sourds ont des parents sourds.

Langue à statut privilégié, langue officielle et langue de l’administration, le Français Langue Seconde est aussi outil de communication et instrument d’accès aux savoirs. En effet, l’enfant sourd comme l’enfant migrant vont devoir apprendre le français pour acquérir d’autres savoirs scolaires. Ceci nous amène à considérer les points communs entre ces deux publics.

B. Les fondements de la comparaison …

Pour l’enfant sourd comme pour l’enfant migrant la capacité à communiquer et l’entrée dans les apprentissages sont un véritable défi. Quels sont les points communs entre ces deux publics ?

Dans les deux cas, les parents, pour des raisons différentes, ne sont pas en mesure de proposer à leur enfant un modèle linguistique de la langue française : pour les premiers parce que le canal de communication auditif est inopérant, pour les seconds, pour des raisons culturelles. La langue première ne semble pas représenter une " aide " dans l’acquisition du français, pourtant une maîtrise rapide de cette dernière est nécessaire puisqu’elle est aussi langue d’enseignement.

  1. Les parents nourriciers linguistiques ?

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    " Une langue naturelle " explique C. DUBUISSON " reflète une culture, des traditions et la façon dont les individus qui l’utilisent pour communiquer voient le monde ". La langue première de l’enfant lui permet d’avoir accès à une vision particulière du monde qui sera aussi celle de ses parents. Parce que l’enfant sourd n’a pas un accès direct et spontané à la langue française, ses parents entendants sont, selon le même auteur, " dans la presque impossibilité " de lui " transmettre leur vision du monde… ". En raison du handicap de leur enfant , ses parents ne peuvent lui fournir un modèle linguistique de la langue française (ou tout du moins dans sa totalité). C’est aussi le cas des parents migrants : certains, analphabètes et également non francophones, ne sont pas en mesure d’aider leur enfant dans son apprentissage du français et dans sa scolarité, mais ils peuvent lui transmettre leur vision du monde grâce à la langue première.

    L’enfant sourd signant à une vision du monde différente de ses parents entendants, vision façonnée par la langue des signes.

    L’enfant migrant lui, est partagé entre deux visions du monde : celle de son pays d’origine et celle du pays d’accueil.

    L’un et l’autre vont devoir acquérir la langue française orale et écrite, condition primordiale de leur intégration. L’un et l’autre sont quelquefois amenés comme le souligne N. TAGGER à jouer le rôle d’ " initiateur " et de " modèle de communication " : en effet, l’enfant sourd progresse beaucoup plus vite en LSF que ses parents dès sa socialisation dans la communauté sourde. Quant à l’enfant migrant, ses progrès souvent rapides en langue française l’amènent parfois à jouer le rôle d’interprète entre l’école et sa famille.

  3. Une langue première au service d’une langue seconde ?

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    Une langue première, construite et naturelle, permet à l’enfant d’accéder plus facilement à une autre langue grâce aux concepts préalablement acquis. Pourtant, pour l’enfant sourd signant comme pour l’enfant migrant, la langue première n’est pas une aide ; elle est plutôt considérée comme un obstacle à l’acquisition du français. Pourquoi ?

    La langue des signes et les langues d’origine des primo-arrivants sont des langues minorées et dominées tandis que le français et surtout la langue normée de l’école, sont valorisés. Se pose alors le problème de l’identité culturelle et affective du bilingue.

    La langue des signes a longtemps été considérée comme une simple pantomime. Quant aux langues des familles migrantes, elles ne figurent pas toutes sur les listes d’enseignement des langues étrangères à l’école ou au collège (l’arabe est rarement enseigné) et sont exclues de nos représentations collectives de l’écrit, alors que l’écrit à une place primordiale dans notre société. Le statut de bilingue de l’enfant sourd et des Sourds en général, n’a été reconnu que jusque récemment (loi FABIUS du 18 janvier 1991) . " On a encore trop tendance " écrit F. GROSJEAN " a considérer les Sourds comme des monolingues de la langue majoritaire ". Quant à l’enfant migrant, on ne le considère pas comme un enfant bilingue mais avant tout comme un enfant " non francophone " c’est-à-dire, comme le souligne G. VARRO " ne parlant pas le français normé de l’école […] On peut dire que des représentations de leur bilinguisme existent mais qu’elles n’existent que par la négative ". Le bilinguisme de l’enfant sourd comme celui de l’enfant migrant est pourtant bien réel.

    Selon F. GROSJEAN " le sourd bilingue, tout comme son homologue entendant, se déplace régulièrement le long du continuum des modes de communication " en fonction de son interlocuteur, de la situation, du sujet de conversation … . Cette affirmation suppose une connaissance suffisante des deux langues. Qu’il s’agisse d’enfants migrants entre eux ou avec leurs camarades français ou d’enfants sourds avec des enfants entendants, les modes de communication sont souvent beaucoup plus " rudimentaires ".

    Ce qu’écrit G. VARRO à propos des représentations négatives du bilinguisme de l’enfant migrant peut dans une certaine mesure s’appliquer également à celui de l’enfant sourd. La LSF n’a-t-elle pas été longtemps considérée comme un obstacle à l’acquisition du français ?

    On note cependant une évolution de ces représentations. Dans l’Aube, l’arabe est enseigné le mercredi par les Enseignants de Langue et de Culture d’Origine – ELCO – auprès des enfants primo arrivants et / ou ayant un des deux parents parlant cette langue. L’enseignement de la LSF aux adultes entendants se généralise, il existe aussi des pièces de théâtres et des animations en LSF (exemple du musée de Louvre). Il faut également souligner que la LSF est française et n’ajoute pas de rupture culturelle à la différence linguistique (exemple : l’alphabet dactylologique).
     
     
     
     

  5. La nécessité d’apprentissage rapide d’une langue support d’enseignement.
Il s’agit d’apprendre le français pour acquérir des savoirs scolaires.

C’est un aspect fondamental du français langue seconde : la langue n’est pas seulement la langue enseignée mais aussi la langue d’enseignement. C’est une " langue apprise pour enseigner d’autres matières qu’elle même et qui peut " précise G. VIGNIER " être présente dans l’environnement social et économique de l’élève " tandis que pour une langue étrangère " le réinvestissement se fait à l’intérieur même du cadre défini par l’acquisition de cette langue ".

Le français, en tant que langue de scolarisation, est aussi langue de communication : qu’elle soit appréhendée dans sa dimension sociale (communiquer avec ses pairs dans et en dehors de l’école) ou dans le cadre plus spécifique de la classe, c’est à dire pour l’élève comprendre le discours du maître ou comprendre ce que l’on attend de lui dans sa réponse à des consignes.

Le langage ne sert pas uniquement à communiquer. Comme le souligne G. VIGNIER , l’un des objectifs de l’école est " d’apprendre aux élèves par un usage de plus en plus élaboré du langage à construire un outil de connaissance, de compréhension et d’action sur le monde ". C’est mettre en avant la fonction cognitive du langage, c’est-à-dire la capacité à conceptualiser, à construire la langue qui permettra de formuler ces concepts.

A cette exigence de maîtrise de la langue de communication s’ajoute celle de l’entrée dans une culture de l’écrit. Le terme " literacy " caractérise l’usage de l’écrit dans sa dimension sociale mais aussi individuelle " correspondant à une compétence langagière allant du déchiffrage de la graphie jusqu’aux processus cognitifs de haut niveau " (G. PAINCHAUD). Or la langue scolaire, celle des manuels, est " une langue décontextualisée, abstraite, concentrée, aux structures complexes " (D. BOYZON-FRADET) et sa compréhension demande des " compétences plurielles " de lecture.

Quelle que soit leur connaissance du français , les enfants migrants déjà scolarisés dans leur pays d’origine se distinguent de ceux qui n’ont pas été alphabétisés dans leur langue. Les enjeux de l’enseignement de français ne sont pas les mêmes. Pour les premiers, l’urgence résident dans la maîtrise d’une langue de communication : ces élèves doivent s’adapter à un nouveau code linguistique et l’objectif est de transférer les compétences acquises dans une autre langue. Pour les seconds, s’ajoute l’urgence de l’entrée dans l’écrit. Celle-ci doit " s’enraciner dans une compétence langagière, une pratique maîtrisée de la parole, et ceci quel que soit le niveau de scolarisation des élèves " (D. BOYZON-FRADET). Quant à l’enfant sourd, nous aborderons la problématique de l’acquisition du français dans le chapitre suivant.

La prise en compte de tous les aspects de la langue de scolarisation met en valeur toutes les variétés de langues auxquelles l’enfant sourd comme l’enfant migrant doivent être familiarisées. Des parents qui ne peuvent proposer un modèle linguistique de la langue française, la question de l’identité culturelle et affective de ses enfants et l’urgence de la maîtrise de la langue scolaire sont les points essentiels de comparaisons entre ces deux publics. Mais la question du bain de langage impose les limites de cette comparaison. En quoi le bilinguisme de l’enfant sourd est-il si particulier ?

C. … et ses limites

L’imprégnation sonore et verbale permet à l’enfant de raisonner, de construire et de s’approprier le langage de façon naturelle, rapide et efficace. " Il va de soi " écrit M. CAMBIEN " que le rendement d’une telle imprégnation est directement fonction du volume et de la qualité de la parole offerte aux investigations du locuteur débutant ".

Cette imprégnation langagière différencie l’enfant primo-arrivant de l’enfant sourd : le premier, même s’il ne parle pas le français à la maison, bénéficie à l’école et en dehors de l’école d’un bain de langage et la langue française est véhiculée par le même canal audio vocal que sa langue maternelle ; alors que le second, notamment dans le cas de surdité profonde, n’y accède que de façon extrêmement réduite.

Ceci a pour conséquence le développement d’un bilinguisme que C. CUXAC qualifie d’" atypique ". L’enfant sourd reste bilingue toute sa vie contrairement à son homologue migrant. L’existence de ressources supplémentaires – mise en place de projets bilingues associant des professionnels sourds ou ma propre initiation à la LSF – limite également la comparaison entre l’enfant sourd et l’enfant migrant. En effet, aucun enseignant n’apprend l’arabe pour faire l’interface avec des élèves issus du Maghreb.

  1. La question du bilinguisme

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    G. VARRO a montré que le bilinguisme des enfants nouvellement arrivés en France ne paraît pas représenter un plus mais plutôt un obstacle à l’acquisition du français. Il " est occulté par leur non bilinguisme social ", lié au fait que leurs langues d’origine ne font pas partie en France " du système de promotion sociale ". G. VERMES va dans ce sens et parle d’un  " bilinguisme mort " conduisant à " des situations de bilinguisme négatif avec parfois un rejet de la langue maternelle ". Enfin, J.P. CUQ souligne que "la fin prévisible du processus d’apprentissage du français est le monolinguisme et l’assimilation ". Cependant, ces affirmations restent à nuancer en fonctions des langues en présences, de la structurations des communautés ou des pratiques culturelles. Quoi qu’il en soit, l’enfant sourd, lui, ne sera jamais monolingue. " Les sourds bilingues " écrit F. GROSJEAN " à cause de leur spécificité, restent bilingue toute leur vie et d’une génération à l’autre " et certaines compétences linguistiques " peuvent ne jamais être totalement acquises ", notamment en matière de perception et de production orale.

    La définition même du bilinguisme de l’enfant sourd suscite des interrogations. S’agit-il, comme le souligne E. SEPULCHRE-MANTEAU de " LSF et de langue française écrite " ou de " LSF et de langue française orale et écrite " ? La langue des signes doit-elle présentée après " l’essai (ou l’échec) d’une éducation orale ? Préalablement ou en même temps que la langue orale ? " Le mouvement de reconnaissance de la langue des signes est relativement récent. Même si les langues d’origines des enfants migrants sont minorées, jamais on ne s’est posé la question : qu’est-ce que le turc, le vietnamien ou l’arabe ? Alors que l’on sait beaucoup interrogé sur la langue gestuelle jusqu’aux travaux du linguiste américain W. STOKOE mettant en évidence la double articulation de cette langue comme toute autre langue, et la légitimation de la LSF en France en 1991.

    Enfin, Il existe une initiation à la langue des signes dans la formation spécialisée pour enseigner auprès d’enfants sourds alors qu’il n’existe aucun équivalent pour les enseignants des classes d’initiation. D’une certaine façon, le bilinguisme LSF / français est en voie d’être reconnu ce qui n’est pas le cas du bilinguisme des primo-arrivants. Ceci nous conduit à considérer les ressources supplémentaires dont bénéficie l’enfant sourd dans sa scolarisation.

  3. Les ressources supplémentaires
La surdité est un handicap linguistique. M. CAMBIEN écrit " l’enfant sourd […] n’apprend la langue qu’après qu’on lui a enseignée " et " cette précession […] de l’enseignement sur l’apprentissage inscrit inéluctablement l’entrée dans la langue sous le signe de l’artificialité. " Si l’enfant sourd peut retenir le vocabulaire, les expressions courantes, les syntagmes figés, il lui est difficile de mémoriser les lois de la combinatoire, de la construire.

Les pratiques pédagogiques ont évolué : plusieurs méthodes sont préconisées pour diminuer cet accès artificiel au langage : l’utilisation de la LSF, du français signé ou du LPC sans que l’une des méthodes n’exclut l’autre. Elles impliquent, nous l’avons vu en première partie, l’adhésion des parents.

L’éducation bilingue est aujourd’hui un choix institutionnel, mais il suscite de nombreuses interrogations.

  1. Le bilinguisme : un choix institutionnel
Après cent ans d’oralisation et d’interdiction de la langue des signes, cette dernière, est aujourd’hui reconnue par la loi FABIUS du 18 janvier 1991 : " Dans l ‘éducation des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue – langue des signes et français – et une communication orale est de droit ". C’est un premier pas mais qu’en est-il réellement ? La circulaire du 25 mars 1993 stipule que " la mise en œuvre de tout mode de communication dans l’environnement du jeune sourd implique pour l’équipe éducative la maîtrise du mode de communication choisi ". Dans le cadre d’une éducation bilingue il ne s’agit pas d’ajouter quelques signes aux discours adressés aux enfants : " cette forme supposée de bilinguisme " écrit J. ALEGRIA " ne répond en rien aux besoins de manipulation de systèmes linguistiques structurés ". Certains enfants arrivent dans les centres spécialisés sans maîtriser ni la langue orale ni la LSF. Or, conclut le même auteur " ni la langue orale, ni la langue des signes ne peuvent […] être acquise à partir de ces deux inputs partiels ".

Cette même circulaire ne donne aucune précision en ce qui concerne le temps qui doit être réservé " à l’enseignement de chacune des deux langues " ou " les modalités d’utilisation et le rôle de chacune des deux langues dans le temps scolaire ". Une certaine liberté est donc laissée aux établissements et services dans leur projet pédagogique.

Si la LSF est aujourd’hui accepté comme un fait, les avis divergent quant à son degré d’utilisation dans l’éducation des jeunes sourds : Est-elle considérée comme une aide à la communication et à la compréhension de la langue française ou comme langue d’enseignement et objet d’un enseignement spécifique ?

Certains préconisent un bilinguisme LSF / langue écrite. " Cette forme d’éducation " écrit J. ALEGRIA " excluant les manipulations des représentations phonologiques de la langue orale, voue l’acquisition de la lecture à l’échec ". L’enfant sourd serait alors amené à " identifier par cœur plusieurs milliers de mots ". L ‘éducation bilingue doit inclure l’acquisition de la langue orale – avec ou sans LPC – car elle est aussi un facteur d’intégration sociale.

Enfin, l’éducation bilingue pose également le problème du recrutement de professionnels sourds, référents en LSF : quelquefois, ils enseignent cette langue sans formation pédagogique préalable.

Je voudrais, pour conclure ce chapitre, présenter la classe bilingue dans la quelle j’ai effectué cette année mon stage pratique.

L’équipe pédagogique est constituée de l’institutrice, référente du projet et des acquisitions scolaires, d’une orthophoniste et d’un professionnel sourd référent en LSF. Les enfants initiés précocement à la LSF sont confrontés à une communication en LSF et à une communication orale. Il s’agit, précise l’enseignante " d’un partenariat ". Le partage du temps scolaire est souple et varie en fonction des projets : quelquefois, les trois référents sont dans la classe notamment lors de la mise en place de groupes de langage. Les cours de LSF et l’utilisation de celle-ci dans des activités variées (contes, activités d’éveil, …) visent à élargir le lexique des enfants et à leur apprendre le fonctionnement de cette langue. Le professionnel sourd étudie également les structures de phrases, le vocabulaire, les concepts que les enfants seront amenés à rencontrer en lecture (exemple : la simultanéité des actions). Enfin, toutes les séances sont l’objet de préparations communes.

La mise en place de projet bilingue est complexe. Il s’agit "  d’organiser l’acquisition des deux langues, LSF et langue française, tout en visant l’acquisition de ces deux langues à un haut niveau linguistique " (J. ALEGRIA). L’exposition à ces deux langues sans privilégier l’une plus que l’autre est nécessaire pour faire de l’enfant sourd un être bilingue et biculturel. La structure de la LSF est différente de celle du français et la difficulté réside dans le passage de l’une à l’autre. Ne serait-il pas nécessaire que l’enseignant spécialisé et le professionnel sourd soient bilingues pour mieux expliquer aux enfants ce passage d’une langue à l’autre ?

L’enfant sourd et l’enfant migrant sont des êtres bilingues et biculturels. Ils doivent vivre dans deux milieux, celui de la langue de la société, le français, et celui de la langue de la communauté sourde pour le premier, et celui de langue maternelle pour le second. Si l’enfant migrant peut devenir monolingue, l’enfant sourd, lui, reste bilingue.

Le bilinguisme de l’enfant sourd est particulier : sur le plan culturel (la culture sourde n’est pas toujours reconnue) et en ce qui concerne les modalités d’appropriation (LSF et français sont véhiculés par des canaux sensoriels différents). " La définition des dictionnaires ne convient pas à la situation vécue par l’enfant sourd " explique F. CHASTEL, professionnelle sourde " quand je pense en français, je quitte le monde des sourds. Quand je signe, je me sens sourde en moi-même. Dans le premier cas, je me sens isolée, dans le second, c’est tout différent ". Dans la dernière partie, nous nous interrogerons sur les possibilités d’adaptation des méthodes de Français Langue Etrangère (FLE) aux enfants sourds.

PARTIE 3

Applications pédagogiques









La circulaire du 13 mars 1986 précise que l’objectif des classes d’initiation est de " dispenser un enseignement spécifique " du français mais ne donne aucune indication méthodologique.

La circulaire du 7 septembre 1987 affirme que "  sauf en ce qui concerne l’apprentissage et l’enseignement du français, il n’y a pas lieu de formuler des programmes spécifiques. "

Pour ces deux publics, l’enseignement du français pour des raisons que nous avons évoquées précédemment, ne peut s’apparenter à un enseignement du français " ordinaire ".

Les méthodes de Français Langues Etrangère (FLE) sont généralement utilisées dans les classes d’initiation, notamment en début de scolarisation et auprès d’enfants non scolarisés dans leur langue d’origine. Cependant, elles demandent à être adaptées parce que le capital langagier des élèves qui sont en situation d’immersion (à l’école et en dehors) progresse plus vite que les progressions proposées par les méthodes et pensées pour des élèves dont la seule situation d’apprentissage et de communication est le cours de FLE.

Les méthodes de FLE peuvent-elles être également adaptées aux enfants sourds ?

La didactique du FLE a évolué et différents courants méthodologiques se sont succédé. Le fait que la méthodologie structuro-globale-audio-visuelle (SGAV) ait été élaborée par l’équipe de P. GUBERINA – spécialiste de la rééducation des enfants sourds profonds et à l’origine de la méthode verbo-tonale – de l’université de Zagreb et par l’équipe de P. RIVENC au Centre de Recherches et d’Etude pour la Diffusion du Français (CREDIF) de Saint Cloud, nous laisserait entendre que oui.

Cette méthodologie a été l’origine de nombreux manuels de FLE dont la méthode " Bonjour Line " encore utilisée avec des enfants sourds.

Pour me faire comprendre de mes élèves migrants, j’utilisais souvent le mime, le dessin, les images de la même manière qu’on peut le faire avec des enfants sourds. C’est aussi une des raisons pour laquelle j’ai pensé aux méthodes de FLE. Il s’agit tout d’abord de définir la spécificité de la didactique du FLE, puis de présenter ce qui, dans les méthodes de FLE, peut

être utilisable avec des enfants sourds.

A. Le Français Langue Etrangère : une pédagogie spécifique

La didactique du FLE se définit comme un ensemble d’approches méthodologiques qui coexistent à des degrés divers dans les méthodes actuelles. Celles-ci proposent un enseignement progressif de français tout en tenant compte de l’intérêt des élèves et se différencient des manuels de français langue maternelle par leur approche de la langue française.

  1. Evolution de la méthodologie du FLE
Sans entrer dans le détail de leur évolution, il s’agit ici de présenter les courants principaux qui se sont succédé dans la méthodologie du FLE.
  1. Les méthodes traditionnelles

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    Fondées sur la traduction, l’enseignement des règles grammaticales, la lecture et l’analyse de texte littéraire dans la langue cible, celles-ci ne sont plus utilisées.

  3. La méthode directe
Elle consiste à parler d’emblée et exclusivement dans la langue à acquérir ceci sans passer par la langue de l’élève. L’enseignement de la grammaire est explicite.

c) La méthode structuro-globale-audio-visuelle (SGAV)

Apparue dans les années 50, elle est, explique P. GUBERINA " la parole mise en situation. " L’accent est mis sur la perception auditive des énoncés et sur une compréhension globale. La priorité est donnée à l’oral : il s’agit de développer chez l’apprenant une compétence de communication à partir d’une situation présentée au moyen d’un support audio-visuel. Le dialogue, associé à des images représentant l’échange, s’inscrit dans une progression rigoureuse. La notion de structure, selon l’auteur, concerne à la fois " la situation […], l’image, […], la parole, […], la progression grammaticale, […], la progression interne des leçons " pour que l’élève puisse réinvestir " tout ce qui précède […] dans chaque nouvelle leçon. " L’accent est mis sur la prononciation, le rythme et l’intonation de la phrase. Le contenu linguistique est élaboré à partir du français fondamental qui est l’ensemble des 1500 mots les plus fréquents de la langue française établit en 1959 à partir d’une enquête sur le français parlé menée par le CREDIF.

d) L’approche communicative

Introduite dans les années 70, elle opère un recentrage sur l’apprenant et sur l’analyse de ses besoins ou de ses désirs de communication. Il s’agit d’apprendre aux élèves à développer des savoir-faire langagiers à partir de situations de communication effectives (demander un renseignement, exprimer son désaccord,…). Parallèlement, l’usage de matériels plus " authentiques " - même fabriqués – est mis en avant.

Ces différentes approches peuvent se retrouver présentes à des degrés divers dans les méthodes actuelles. En quoi constituent-elles des arguments pertinents en faveur de l’utilisation de manuels de FLE auprès des enfants sourds ? Quelle est la spécificité de ces méthodes par rapport aux manuels de langue maternelle (FLM) ?

  1. Des manuels de FLE aux manuels de FLM
De manière générale, les manuels de FLE présentent des activités cloisonnées en quatre grandes rubriques : expression orale, expression écrite, production orale et production écrite. Ceci peut permettre une répartition relativement facile lorsque plusieurs intervenants doivent se partager le travail de la langue. Les méthodes de FLE répondent à une approche de type communicatif et plus précisément fonctionnel la langue française. C’est pourquoi il me semble que ces méthodes peuvent être exploitées avec des enfants sourds. Cette année, j’ai effectué mon stage dans la classe bilingue de GS maternelle de l’Institut Gustave BAGUER. Quels principes régissant la méthodologie du FLE seraient transférables avec ces élèves ? Et pourquoi ? Quelles sont les limites ?

B. Applications pédagogiques

Apprendre à maîtriser une langue orale et écrite qui n’est pas sa langue première, ce n’est pas être passif, extérieur à une méthode neutre aux dialogues aseptisés, ce n’est pas répéter fastidieusement des formes linguistiques pour les utiliser mécaniquement dans des exercices.

L’enfant sourd doit apprendre le français pour acquérir d’autres savoirs scolaires. La maîtrise de cette langue de scolarisation est un exercice obligé, obligatoire de son intégration sociale.

Nous ne parlons pas pour parler mais pour faire quelque chose : " Dire, c’est faire ".

La méthodologie du FLE a évolué. Les méthodes les plus récentes, centrées sur l’apprenant, proposent une approche communicative et fonctionnelle de la langue française, avec une participation active des élèves mais aussi des activités ludiques (à l’oral et à l’écrit).

J’ai choisi pour ce mémoire, en référence à mon stage pratique, la méthode québécoise " Olé !". Ce matériel didactique s’adresse à des élèves de 6 à 8 ans et pourrait donc s’utiliser avec des enfants sourds effectuant leur CP sur 2 ans. Abondamment illustrée et présentée sous forme de projets, cette méthode paraît intéressante à utiliser avec les élèves. Il s’agit de partir des principes du FLE et de présenter les activités orales ou écrites qui s’y réfèrent à partir de cette méthode.
 
 
 
 
 
 

  1. La centration sur l’apprenant

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    En cela les méthodes de FLE les plus récentes se rejoignent. On part de l’élève puis, petit à petit, on élargit les cercles pour l’ouvrir sur le monde, en tenant compte de son âge et de ses intérêts.

    Les projets présentés dans cette méthode par le " personnage – ami " Olé (oral, lecture, écriture) correspondent aux intérêts des élèves de cet âge (" ta liste des objets pour l’école ", " les déguisements ", " un spectacle de marionnettes ", …) et aboutissent à une réalisation concrète (décoration d’un crayon, fabrication de chapeaux pour se déguiser,…). Ceci paraît être intéressant pour motiver les élèves et favoriser les échanges.

    J’ai choisi le projet " la maison " avec pour aboutissement la réalisation d’une maison miniature individuelle ou collective. Il s’agit de montrer comment le vocabulaire et réinvesti tout en maintenant l’intérêt des élèves. On sait l’importance avec les enfants sourds de multiplier les moments de répétition : il ne s’agit pas pour autant de leur présenter des listes de vocabulaire qu’ils auront à apprendre par cœur.

  3. Approche communicative et fonctionnelle de la langue française
Les manuels de FLE proposent des situations de communication variées tout en maintenant l’intérêt des élèves. Communiquer implique de savoir parler, de savoir comprendre un message, de savoir lire et de savoir écrire. Quelles situations proposer qui soient à la fois des situations de la vie courante, des situations authentiques de communication et qui génèrent l’interactivité ?
  1. Communication orale
L’objectif est de développer une compétence de communication pour comprendre et produire des énoncés dans des situations habituelles de la vie scolaire et sociale. Comment faire pour demander quelque chose, pour décrire une personne ou un objet, dire ce que l’on aime ?…

Pour amorcer le thème " la maison ", 4 types d’habitations différentes ont été découpés dans des revues ou des journaux spécialisés, et ces images ont été découpées en 4 morceaux. Il s’agit de faire reconstituer des habitations par les élèves pour leur faire découvrir le thème.

Activité : manuel base A, page 74 (voir annexe 1)

Activité de groupe où l’élève est amené à dire dans quel type de maison il habite puis de comparer sa maison avec d’autres et de trouver les ressemblances.

Activités : manuel base A, page 75 (voir annexe 2)

Il s’agit de comparer les maisons illustrées par groupe de 2 et de nommer les différences. Puis de décrire suffisamment l’une de ces maisons pour que son camarade puisse la reconnaître. Exprimer sa préférence en découpant une maison que l’on aime dans un journal puis de comparer avec celles de son / de ses camarades.

Activité : manuel base A, page 76 (voir annexe 3)

Il s’agit de faire appel à son vécu et dire si on a déjà perdu la clef de sa maison et de raconter l’événement. A l’aide de l’illustration, on nomme les pièces et les objets d’une maison afin de dire où Ariane doit chercher sa clef.

Activité : manuel base A, page 77 (voir annexe 4)

Une maison de poupée est présentée aux élèves. Il s’agit de nommer les pièces, de dire celles qui manquent en se référant à la connaissance que l’on a du sujet, de nommer les activités que l’on peut faire dans les différentes pièces d’une maison. Des images de meubles ont été découpées dans un magazine, et présentées aux élèves sous forme de jeu de cartes. A tour de rôle, les élèves piochent une carte et doivent dire dans quelle pièce de la maison va ce meuble.

b) Lecture et écriture

L’objectif est de savoir lire et produire des énoncés ou des textes courts à portée informative, expressive, incitative, poétique ou ludique.

Activité : manuel base A, pages 78 et 79 (voir annexes 5 et 6)

A nouveau les élèves sont amenés à exprimer leur préférence pour l’une ou l’autre des maisons et à les comparer. Il s’agit pour de comprendre ce qui est écrit en utilisant des indices fournis par la reconnaissance globale de mots connus et de retrouver la maison que cette famille a choisi.

Activité : manuel base A, page 80 (voir annexe 7)

Il s’agit de lire pour connaître la maison dont Malek rêve en utilisant les indices fournis par le contexte.

Activité : manuel base A, page 83 (voir annexe 7)

Des images de meubles sont proposés aux élèves qui doivent écrire les noms correspondants sur des étiquettes puis de demander à un ou une camarade de les placer sur le meuble correspondant. Cette activité peut être reprise pour d’autres champs lexicaux et la consigne modifiée (Par exemple : coller l’étiquette mot sous l’image correspondante).

  1. Interactivité et approche ludique

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    Ces activités d ‘expression et de communication sont généralement absentes des manuels de français langue maternelle. Elles permettent aux élèves d’exercer leur créativité et favorisent les échanges. On propose aux élèves des devinettes (par exemple : chaque élève dessine l’endroit de la maison où l’on peut se cacher. Les autres doivent deviner de quel endroit il s’agit : " Est-ce dans la chambre ? Oui, c’est dans la chambre. Non ce n’est pas dans la chambre. Est-ce sous le lit ? Oui, c’est sous le lit), des jeux de mimes (mimer les activités que l’on peut faire selon les pièces de la maison), le jeu des erreurs (pour cette activité, des dessins de maisons faits par les élèves, et contenant de erreurs, sont échangés par équipe de 2, il s’agit de trouver ces erreurs le plus vite possible et de les écrire).

    Ce aspect ludique se retrouve également dans les activités de lecture (mots dont les lettres découpées sont à remettre dams l’ordre par groupe de 2) et d’écriture (exemple ci-dessus).

    La méthode " Olé ! " propose des activités riches et variées. Celles-ci sont transdisciplinaires (exemples des thèmes de la santé ou de la protection de l’environnement) et font appel à des compétences transversales. L’enfant sourd mémorise peu, il n’a pas de bain de langage, c’est pourquoi il est important de faire participer les parents : ceux-ci peuvent venir dans la classe et reprendre les thèmes abordés à la maison.

    La méthode " Olé ! " ne peut être utilisée sans adaptation. Il s’agit de s’inspirer des activités proposées. Dans ce cas, l’élève doit-il en posséder un exemplaire ? Même si toutes les activités ne peuvent être exploitées, il est important que l’enfant sourd puisse avoir un " vrai " livre plutôt que des photocopies, et de proposer du matériel complémentaire.

  3. Le matériel complémentaire

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    On peut en complément de la méthode fabriquer avec l’élève son propre livre de lecture à l’aide d’images découpées dans les catalogues auxquelles seront associés les mots correspondants. On peut également créer des fiches outils individuelles qui, au départ, sont thématiques mais que les enfants seront amenés à remanier dans des activités de reclassement (par exemple, proposer un classement alphabétique, avec puis sans les images associées aux mots). Il est important que l’élève puisse faire des liens entre les choses, se rendre compte de ses progrès (" avant je mettais l’image, maintenant non "). Enfin, le vocabulaire (accompagné du signe LSF et illustré) et les formes linguistiques abordés doivent être affichés en classe.

    L’écrit doit s’ancrer dans une compétence langagière, la priorité est donné à l’oral, à la communication. Mais quel oral proposer aux enfants sourds, un oral signé ou un français vocal avec ou sans LPC ?

    Enfin, les méthodes de FLE sont généralement basées sur l’écoute de dialogues. Ceci nous amène à considérer les limites de l’utilisation de ce matériel pédagogique.

  5. Les limites des méthodes de FLE
La compréhension globale : Les méthodes de FLE sont généralement encore de type " structuro-global " et l’outil est de type " audio visuel ". Elles s’appuient tout d’abord sur une compréhension globale des énoncés. L’utilisation des cassettes audio qui accompagnent ces méthodes ne peut être que très limité en classe d’intégration scolaire. Les enfants sourds n’entendent pas ou peu ce qui fait la différenciation entre les sons ; on ne peut qu’éventuellement leur faire percevoir les vibrations, le rythme et l’intonation à l’aide de la méthode verbo tonale.

La progression : Chaque leçon de FLE est traditionnellement composée d’un phase d’écoute / explication puis de répétition, d’exploitation et enfin de transfert à une autre situation. Il n’est pas possible de suivre un tel schéma de progression avec des enfants sourds.

Des méthodes pour enfants étrangers : Toutes les méthodes sont construites pour un public " captif " dont la seule situation d’apprentissage est le cours de français comme langue étrangère. Ce qui n’est pas le cas de l’enfant sourd (et ni de l’enfant migrant). Elles sont centrées sur l’apprenant, mais il s’agit d’un apprenant " standard ". Or le public des classes d’intégration scolaire (comme celui des classes d’initiation) est hétérogène en terme de niveau de maîtrise de la langue française notamment avec des élèves plus âgés, et il s’agit de tenir compte du projet individuel de chacun des élèves.

Les méthodes de FLE répondent à une approche communicative et fonctionnelle de la langue française. L’objectif final est de fournir à l’élève un ensemble de compétences orales et écrites en lien avec son âge et son intérêt. Les éditions du FLE proposent suffisamment de manuels différents selon l’âge des apprenants pour que l’on puisse faire un choix. Comme tout matériel pédagogique utilisé avec des enfants sourds, ces manuels doivent être adaptés. Il s’agit de s’inspirer de ce que l’on trouve dans les méthodes de FLE pour mettre l’élève en situation d’acteur et lui donner envie de s’exprimer, de communiquer ou de créer.

CONCLUSION















La scolarisation des enfants sourds comme des enfant migrants représente un triple défi : tout d’abord à ces élèves qui doivent travailler d’avantage que leurs camarades français et entendants, à leur famille dans leur rôle de soutien et de suivi scolaire, et bien sûr à l’école.

Le bilinguisme des enfants migrants n’est pas reconnu parce que leurs langues d’origine ne font pas partie en France du  " système de promotion sociale " (G. VERMES). Tandis que les enfants sourds sortent de ce non bilinguisme social.

Si pendant plus de 100 ans la langue des signes a été exclue de l’éducation des enfants sourds, celle-ci est aujourd’hui légitimée (Loi FABIUS de 1991) et fascine les entendants.

L’éducation bilingue soulève cependant des problèmes dans sa mise en pratique et les réponses sont aussi nombreuses que diverses. Peut-on parler, dans les pratiques actuelles, d’éducation bilingue ? " Il faut avoir le courage " disait C. COURTIN, lors du colloque Surdité et Conceptualisation (Centre de Suresnes – 10 et 11 mai 2001) " d’enseigner la langue des signes aux enfants ".

L’utilisation des méthodes de FLE avec des enfants sourds est une intuition de ma part. L’approche de la langue française communicative et fonctionnelle, tient compte de l’intérêt des élèves ; le vocabulaire est largement réinvesti et les progressions grammaticale sont adaptées au bagage lexical des élèves ; les activités proposées sont motivantes et laissent place à l’interactivité et à la créativité. C’est pourquoi il me semble que l’on peut s’en inspirer pour aider les enfants sourds à entrer dans la langue française. Ceci n’est bien sûr qu’une ébauche, cela demande à être mis à l’épreuve des faits.

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