Favoriser la communication des enfants sourds avec des enfants entendants grâce à l’utilisation, à l’école, des outils de communication sur Internet


SOMMAIRE


 1. Introduction

2. Les freins à la communication avec les entendants

2.1. Qu’entend-on par communication?

2.2. La langue des signes : une autre langue

2.2.1. L’émergence et la reconnaissance de la langue des signes

2.2.2. Les difficultés d’apprentissage de la langue des signes

2.2.3. Les difficultés d’accès à la langue orale pour les sourds

2.3. Les préjugés

2.4. « La culture sourde »

3. Internet

3.1. Internet et l’enseignement

3.1.1. Les années 70

3.1.2. Les années 80

3.1.3. Les années 90

3.1.4. Le Troisième millénaire

3.2. Les spécificités de la correspondance via Internet

3.2.1. E-mail

3.2.2. « Chat »

3.2.3. L’instantanéité

3.2.4. L’utilisation d’un “ langage ” propre à Internet

3.2.5. Une « cybercommunication » en commun

3.2.6. Concilier spontanéité de la communication et travail de fond a posteriori

3.2.7. Utiliser des supports variés

4. Le Projet : donner aux enfants sourds la possibilité de communiquer plus largement avec des enfants entendants grâce à la
correspondance via Internet

4.1. Les objectifs du Projet

4.2. Le cadre du Projet

4.2.1. Le cadre réglementaire

4.2.2. Internet et l’Education Nationale

4.2.3. Le projet de classe

4.3. La mise en œuvre pratique des activités de correspondance

4.3.1. Le niveau des élèves

4.3.2. Le choix de la classe

4.3.3. La correspondance par e-mail

Mettre en place l’atelier  “ e-mail ”

4.3.4. La correspondance par “ chat ”

Mise en œuvre

Exploitation ultérieure du chat dans la lecture

4.3.5. Les apports de la correspondance par Internet pour les sourds

Acquisition d’un savoir-faire  technologique

Le nouveau comportement face à l’écrit

Les nouvelles relations

 4.4. Les moyens à mettre en œuvre

4.4.1. Le matériel informatique

4.4.2. Les connexions Internet

4.4.3. La salle de classe

4.4.4. Le budget

Ecole Primaire Montaigu (Melun)

Collège Saint-Louis (Lieusaint)

Ecole Laurent Clerc (Champs-sur-Marne)

4.4.5. La formation des enseignants

5. Conclusion

Bibliographie

Lexique
 
 
 

1. Introduction

Avant de commencer ma formation d’institutrice spécialisée, je n’avais jamais côtoyé de sourds, ni au sein de ma classe, ni dans mon entourage. Comme la plupart des gens, je les appelais les « sourds-muets ». Je pensais que, n’entendant pas, ils ne pouvaient ni parler ni communiquer avec des « entendants ».
C’est seulement au cours de cette formation, en particulier durant mes stages dans des établissements pour enfants sourds, que j’ai vraiment pris conscience que l’absence de communication en soi pouvait être un frein à l’acquisition du langage. J’ai notamment été surprise, en animant des séquences de français où les élèves inventaient des histoires, de découvrir les grandes difficultés qu’ils éprouvaient face à l’écrit : difficultés à construire des phrases, à trouver du vocabulaire, à conjuguer les verbes, .... Pourtant, je pensais a priori que la surdité ne constituait pas un frein à l’acquisition de l’écrit. Or l’acquisition tardive du langage oral chez les sourds entraîne un retard dans l’apprentissage de l’écrit. Celui-ci est au cœur de notre société et, même sans être illettré, ne pas le maîtriser constitue un réel handicap.
En tant qu’enseignante, j’ai souvent eu l’occasion de mesurer tout l’intérêt des activités de correspondance dans l’acquisition de l’écrit : elles permettent de rassembler, Lire et Ecrire, deux activités complètement liées et complémentaires.
Mais, la correspondance permet surtout de rendre l’enseignement plus motivant et plus vivant en introduisant une dimension supplémentaire : la notion d’échange et de communication avec un interlocuteur. Prenant conscience qu’il écrit à et pour quelqu’un, l’enfant apprend aussi à s’adapter à son interlocuteur : il écrit pour être lu.
J’ai alors réfléchi à la manière dont j’allais adapter les activités de correspondance pour faciliter le développement de la communication chez les jeunes sourds, en particulier avec les entendants. Passionnée d'Internet , j’ai, tout naturellement, pensé à utiliser cet outil pour développer des activités d’échanges.
Internet commence à être largement présent dans la vie des français. Bien évidemment, l’école n’est pas restée à l’écart de ce phénomène. Cependant il demeure un outil encore peu utilisé au service de la pédagogie notamment dans ses fonctions de correspondance. Il dispose pourtant de nombreux atouts : outil de communication, facteur de revalorisation de l’écrit, lien entre des personnes parfois très éloignés tant dans l’espace que culturellement, propice au rapprochement autour d’intérêts communs.
Dans le cadre de l’enseignement spécialisé pour les enfants sourds, il m’a semblé que les outils de correspondance par Internet pouvaient permettre une meilleure insertion des jeunes sourds dans la vie sociale et servir à favoriser la communication avec des entendants et, par conséquent, leur permettre une meilleure insertion dans la vie sociale.
Le présent mémoire se propose donc, après avoir recensé les freins à la communication auxquels sont confrontés les jeunes sourds, de rechercher comment les lever grâce à l’utilisation des outils de correspondance par Internet. Dans un deuxième temps, un ensemble d’applications concrètes, dans le cadre de l’enseignement spécialisé, sera proposé.

 2. Les freins à la communication avec les entendants

2.1. Qu’entend-on par communication?

Communiquer, c’est mettre en commun, c’est à dire livrer ses idées, ses sentiments puis les confronter à ceux des autres ; c’est aussi par conséquent accepter sa différence. La communication est basée notamment sur l’échange de signes organisés qui constituent un langage et par lequel nous transmettons un message.
En 1963 Jakobson  décrit la communication comme un processus reposant sur six facteurs : le destinateur (l’émetteur), le destinataire (le récepteur), le code, le message, le canal (le contact) et le contexte.

2.2. La langue des signes : une autre langue

2.2.1. L’émergence et la reconnaissance de la langue des signes

Longtemps les sourds furent mis à l’écart de la société. Dans les villes, ils menaient une vie misérable tandis que dans les campagnes ils étaient isolés. Dès la fin du Moyen Âge, l’apparition de l’imprimerie facilita l’éducation des sourds. Mais celle-ci resta réservée aux plus aisés.
Cependant les sourds utilisaient entre eux une langue des signes, mais qui n’était pas institutionnalisée. En 1760, l’abbé de l’Epée , fut frappé de voir deux sœurs sourdes dialoguer entre elles par gestes. Il apprit alors à communiquer avec elles et comprit que ces signes pouvaient exprimer la pensée humaine autant qu’une langue orale. Il entreprit un projet d’éducation en fondant en 1775 l’école des jeunes sourds. De cette structure naquit une langue gestuelle établie par les sourds eux-mêmes. En 1776, il put rédiger son premier ouvrage : “ Instruction des sourds-muets ”.
L’abbé de l’Epée fut ainsi le premier à reconnaître la valeur symbolique du geste comme élément linguistique et donc l’association de gestes, considérés comme une langue.

2.2.2. Les difficultés d’apprentissage de la langue des signes

L’apprentissage de la Langue des Signes Française (L.S.F) sera d’autant plus facile que le milieu familial est “ signeur  ” (personne non nécessairement sourde maîtrisant la L.S.F). Ainsi, pour les 4% d’enfants sourds nés de parents sourds, la langue des signes peut être acquise spontanément comme langue maternelle : c’est à dire très précocement et sans intervention extérieure à la famille. Pour cet enfant un réel échange s’installe avec ses parents et la langue s’acquiert ainsi de façon naturelle.
Les enfants sourds nés de parents entendants, 96% des cas, ne peuvent recevoir l’imprégnation sonore et verbale de la langue orale des parents. Ils sont privés de cette langue maternelle qui tisse les liens affectifs avec leur mère. Toutefois l’enfant sourd a de grandes capacités à communiquer par signes si on lui en donne les possibilités : pour être compris, il aura recours à des gestes ou des mimiques.
Inversement, les parents entendants rencontrent eux-mêmes des problèmes de communication. En effet, pour garder le contact avec leur enfant, il leur est nécessaire d’apprendre la langue des signes auprès d’adultes sourds. Leur première difficulté réside dans l’apprentissage d’une nouvelle langue : en avoir le temps, les capacités, l’envie et les possibilités financières. Quant à la deuxième difficulté, elle vient du fait que la langue orale et la langue des signes sont deux systèmes linguistiques reposant sur des structures grammaticales, des modes de pensée et des cultures différents.

2.2.3. Les difficultés d’accès à la langue orale pour les sourds

Les difficultés d’accès à la langue orale sont en rapport avec les degrés de surdité (surdité légère : perte de 20 à 40 décibels – dB -, moyenne : perte de 40 à 70 dB, sévère : perte de 70 à 90 dB ou profonde : perte supérieure à 90 dB). Plus la déficience est importante, plus l’accès à la langue orale sera difficile.
L’enfant sourd profond n’entend pas les modèles de la langue parlée autour de lui. Dès lors qu’il n’entend pas ce que dit son entourage, il ne peut organiser son langage spontanément. Il n’a pas de comportement imitatif et donc n’émet pas de sons ressemblant à la parole. L’acquisition de la langue orale n’est donc pas spontanée. Celle-ci fait l’objet d’un apprentissage, ce qui diffère totalement des conditions d’acquisition, naturelles, de la langue maternelle par un enfant entendant.
Tout est donc à apprendre : mots, syntaxe, grammaire, ... d’autant que la langue des signes a sa propre structure grammaticale.

2.3. Les préjugés

Pendant très longtemps, les Sourds furent considérés comme des personnes arriérées. Si ce préjugé n’a plus cours aujourd’hui, il arrive encore qu’ils soient perçus comme peu intéressés, voire indifférents, aux sujets d’actualité.
Les Sourds peuvent paraître impolis dans la mesure où ils ignorent ou ne savent pas utiliser les formules de politesse. En effet, ils méconnaissent les rituels de communication et les règles pragmatiques de la conversation : faut-il tutoyer ou vouvoyer le professeur ? Comment demander l’ouverture d’une fenêtre ?
Réciproquement, l’ignorance des entendants sur les modes de communication avec les Sourds peut être source de méprise : ils ne parlent pas toujours distinctement, se mettent à contre-jour. Ils croient souvent qu’il faut s’exprimer en « petit nègre » avec les Sourds, alors que le langage doit être naturel.
Dans le cadre scolaire, les incompréhensions dues aux préjugés sont très courantes. Par exemple, les enseignants hésitent parfois à réprimander un élève sourd fautif. Dans l’autre extrême, il leur arrive de punir à tort.

2.4.  « La culture sourde »

« Le terme culture sourde désigne l’ensemble des références à l’histoire des Sourds, en tant que communauté linguistique, l’ensemble des significations symboliques véhiculées par l’usage d’une langue commune, l’ensemble des stratégies sociales et des codes sociaux utilisés de façon commune par des personnes sourdes pour vivre dans une société faite par et pour des entendants. »
Les Sourds se considèrent comme une communauté car ils ont en commun une langue, des valeurs, des règles de comportement, des traditions et une identité.
La culture sourde est un ciment solide de la communauté sourde. C’est ainsi que, paradoxalement, un Sourd se sentira plus proche d’un étranger sourd que d’un compatriote entendant. Les valeurs des Sourds sont souvent différentes de celles des entendants ; en effet, celles-ci ne sont pas seulement issues de l’éducation parentale mais aussi de leur propre expérience de la différence. Cette singularité se retrouve, par exemple, dans la vision qu’ont les Sourds de la vie politique, qui se veut proche des préoccupations quotidiennes mais qui, pour beaucoup d’entre eux, est bien éloignée de leurs inquiétudes.
Bien évidemment, la force et la vigueur de la culture sourde constituent des freins à la communication avec les entendants. Les modalités mêmes de la communication entre Sourds peuvent se transformer en autant d’obstacles.
A titre d’illustration, les patronymes utilisés habituellement entre Sourds sont les signes qui leur ont été donnés par la communauté, généralement dès l’école, plutôt que ceux donnés par les parents et utilisés prioritairement par les entendants. Ces signes reflètent un tic, une particularité physique ou un comportement singulier.
L’entrée en relation est, elle aussi, source d’incompréhension. Alors que l’entendant interpellera oralement son interlocuteur avant de lui serrer la main, le sourd signera “ bonjour ” après avoir signalé sa présence par un appel de la main, une action sur lumière (allumer puis éteindre) ou en tapant le sol du pied. On notera d’ailleurs l’importance accordée par les Sourds aux phénomènes vibratoires auxquels les entendants sont en général insensibles.
Le Sourd entré en relation avec un entendant, peu ou pas au fait des spécificités de la communication entre Sourds, pourra être fortement déstabilisé par son comportement : rupture du face à face ou du cercle de conversation, indispensable pour les échanges visuels, fermeture d’une porte, synonyme de fin de communication pour le Sourd, voire appel dans le dos, tolérable pour un entendant mais fortement générateur d’angoisse pour un Sourd.

3. Internet

Internet c’est d’abord une histoire de correspondance. En effet, ce réseau a été créé durant la guerre froide par les américains pour protéger leurs sites informatiques sensibles. Les informations secrètes étaient déplacées d’un point à l’autre par les ordinateurs des centres de recherche. La centralisation de ces données se faisait grâce à un réseau maillé, ARPANET
Pour des besoins d'échange et de coopération, plusieurs scientifiques inventent en 1993 le World Wide Web   (WWW ou W3). Progressivement, le WWW gagne une meilleure capacité de présentation des informations, plus riche sur le plan typographique pour devenir aujourd’hui complètement multimédia..
Très vite, la fonction de correspondance a été créée avec l’invention de l’e-mail . Elle est devenue une des utilisations préférée des Internautes .

3.1. Internet et l’enseignement

L’introduction d’Internet à l’école s’est faite en plusieurs étapes :

3.1.1. Les années 70

C’est dans les années 70 qu’est apparue l’idée d’une utilisation pédagogique des ordinateurs. A cette époque l’ordinateur est cher et complexe, et plutôt destiné aux entreprises.
L’idée d’utiliser l’ordinateur pour la formation naît alors aux Etats Unis grâce aux thèses de l’enseignement programmé de Skinner . De 1970 à 1976, cinquante-huit lycées français sont équipés en micro-ordinateurs.

3.1.2. Les années 80

En 1984, la France lance “ Informatique Pour Tous ” I.P.T, vaste plan d’équipement des établissements primaires et secondaires ainsi que ceux de formation des enseignants.
A la fin des années 80, tous les pays européens choisissent la norme P.C .
On constate que la dépense informatique dans les établissements scolaires concerne essentiellement la mise à jour et le renouvellement du matériel, du système d’exploitation (Windows 3, Windows 95, 98), des logiciels de base (traitement de texte, tableur ). Microsoft est alors le principal fournisseur de logiciels.

3.1.3. Les années 90

Les technologies évoluent rapidement sans jamais atteindre leur maturité. De plus, beaucoup d’enseignants ignorent les outils informatiques, éprouvant par conséquent des réticences à les introduire en classe.
En 1994, on observe une poussée du réseau Internet, avec le Word Wide Web. L’année suivante, France Télécom crée son propre service d’accès à Internet : Wanadoo. On assiste aux premières connexions d’écoles françaises.
En 1996, plusieurs rectorats inaugurent leur site Web  et des plans de raccordement se créent pour les collèges et lycées. La formation des enseignants à l’utilisation de l’outil informatique constitue alors une priorité.
En 1997, Claude Allègre, ministre de l’Education Nationale, présente le plan national pour l’équipement et la connexion avant l’an 2000 de tous les établissements scolaires publics, depuis la maternelle jusqu’à l’université.
A ce jour, 60% des écoles ne sont pas encore équipées.

3.1.4. Le Troisième millénaire

Aujourd’hui l’ordinateur et Internet sont omniprésents dans la vie personnelle et professionnelle de chacun. Il importe que le système éducatif contribue à réduire le “ fossé numérique ” et à diminuer le nombre des “ cyberexclus ” . Le système éducatif ne doit pas former des utilisateurs passifs mais des citoyens capables de percevoir les possibilités et les limites des technologies ainsi que leurs incidences sociales.

3.2. Les spécificités de la correspondance via Internet

Destiné à l’origine à l’échange d’information, Internet est rapidement devenu un outil extrêmement performant de correspondance : le premier e-mail n’a-t-il pas été envoyé dès 1971 ! De fait, non content de se prêter particulièrement bien à la correspondance, Internet ne s’est pas limité à reproduire les supports existants mais à créé ses propres outils. Ceux-ci présentent des caractéristiques particulières qui peuvent utilement être mises à profit pour conforter le travail pédagogique auprès des jeunes Sourds.
La correspondance via Internet peut prendre des formes multiples :

3.2.1. E-mail

Appelé aussi courrier électronique, c’est le plus utilisé des outils de correspondance via Internet. Il permet d’échanger en quelques minutes, voire quelques secondes, des messages écrits mais aussi des photos, des films, des sons, … avec tout autre internaute.
Chaque internaute est identifié par une adresse de la forme nom@fournisseur_d’accès. Pour envoyer un e-mail, il doit disposer d’un logiciel de messagerie sur son micro-ordinateur ou utiliser une fonction spéciale sur un site Internet.

3..2.2. « Chat »

Terme anglais, le « Chat  » (prononcer “ tchat ”) désigne la possibilité donnée aux internautes de bavarder (« to chat ») en temps réel, par échange de messages électroniques. Plus convivial que l'e-mail, il permet de réunir de 2 à plusieurs centaines d’interlocuteurs.
Les « chats » s’appuient sur l’utilisation de logiciels de messagerie instantanée aussi divers que puissants. En l’absence de norme, les internautes se regroupent par logiciel, les plus important d’entre eux (ICQ, AIM, …) réunissant plusieurs dizaines de millions de personnes. Par ailleurs, des « chats » ouverts à tous sont présents sur de nombreux sites Internet.
Si les « chats » restent pour le moment essentiellement limités à l’écrit, l’image et le son commencent à faire leur apparition.
Au delà des caractéristiques propres à chacun de ces nouveaux moyens de communication, certaines, communes à tous, sont à l’origine de la spécificité de la correspondance par Internet.

3.2.3. L’instantanéité

Les échanges électroniques sont immédiats (« chats ») ou quasi immédiats (e-mails, forums). Ils conjuguent le recul que permet l’écrit avec la réactivité d’une conversation.
La conjugaison de l’instantanéité et du support écrit, qui permet l’enregistrement et le retour sur l’échange, donne une grande liberté, un aller retour pouvant s’instaurer entre des conversations en temps réels, propices à la spontanéité, et d’autres plus réfléchies, favorables, elles, à la réflexion.
L’alternance de ces deux types d’échanges est couramment pratiquée par la plupart des internautes. Ainsi, les e-mails peuvent être tout autant des réactions d’humeurs, permettant de manifester une opinion à chaud, que des contributions plus élaborées ou des courriers de facture “ classique ”.

3.2.4. L’utilisation d’un “ langage ” propre à Internet

Le développement de la correspondance sur Internet a entraîné l’apparition d’un “ langage spécifique ” avec la création d’une syntaxe et d’un vocabulaire propre.
Nécessaire à l’origine du fait des contraintes techniques (lenteur des claviers, des connexions, nécessité d’économiser la mémoire, …), ce langage spécifique s’est développé spontanément.
Il se caractérise tout d’abord par les grandes libertés prises par rapport à la syntaxe habituelle ; le langage Internet est avant tout caractérisé par son caractère extrêmement informel. Le tutoiement est, à ce propos, le plus souvent de rigueur. Cet aspect informel fait que personne, quel que soit son niveau de formation, n’est rejeté a priori, même si son niveau d’expression reste limité.
Par ailleurs, on note l’emploi fréquent d’acronymes, de mots tronqués ou d’abréviations, parfois issues de l’anglais (MDR = Mort De Rire, @ + : à plus tard, ….) ou d’orthographe phonétique ( C = c’est ou ses, G = j’ai, …).
Enfin, Internet a enrichi le langage écrit des smileys  (le mot émoticons, en français, est très peu utilisé). Constitués de signes typographiques qui, regardés après une rotation de la tête de 90° vers la gauche représentent succinctement un visage, les smileys permettent d’introduire des émotions au sein d’un texte :
? :-)  = sourire, content
? :-( = triste, mécontent, ...
Très utilisés par les internautes qui ont ouvert un espace de créativité très important (près de 150 smileys existent !) , les smileys permettent de relativiser ou au contraire de renforcer les propos écrits dans la “ vie virtuelle ”, tout comme peut le faire la partie non parlée du langage (expressions, gestes, .... ) dans la “ vie réelle ”.

3.2.5. Une « cybercommunication » en commun

L’utilisation d’un “ langage ” Internet, l’absence de formalisme en ce qui concerne l’orthographe, la syntaxe, ou même la forme des échanges contribuent aussi à lever les freins liés à la méconnaissance de la langue : on écrit comme on le veut.
Il en va de même pour les différences de niveau scolaire ou de culture. Un enfant sourd, pour peu qu’il ait des intérêts communs avec son interlocuteur entendant, pourra correspondre avec lui.

3.2.6. Concilier spontanéité de la communication et travail de fond a posteriori

La spontanéité de mise sur Internet est un levier puissant pour aider les enfants sourds à s’ouvrir à la communication avec les entendants. Pouvant correspondre au même rythme que leurs interlocuteurs et quasiment en temps réel, ils peuvent s’abandonner sans réserve au plaisir de la communication et en retirer ainsi tous ses bénéfices.
L’instauration de ce climat de spontanéité ne se fait pas au détriment d’un travail plus approfondi sous forme de correspondance. En effet, l’utilisation de l’outil informatique permet de conserver une trace écrite de toutes les correspondances quel que soit l’outil utilisé. Il est alors possible de revenir a posteriori sur les échanges, afin de porter un regard critique sur l’orthographe et la syntaxe mais aussi sur la construction de l’échange ou son évolution dans le temps. L’outil permet ainsi un travail pédagogique en classe, individuel ou en groupe.
Ce travail peut également se faire a priori, puisqu’il est tout à fait possible de préparer la correspondance à l’avance dans le cadre de séquences spécifiques.

3.2.7. Utiliser des supports variés

Si le texte représente aujourd’hui l’essentiel des supports de correspondance sur Internet, les outils actuels proposent désormais d’échanger sur des supports variés : photos, images, vidéos, sons, ...
La variété de ces supports viennent enrichir les échanges avec les entendants et donc leur contenu pédagogique.

4. Le Projet : donner aux enfants sourds la possibilité de communiquer plus largement avec des enfants entendants grâce à la correspondance via Internet

4.1. Les objectifs du Projet

Le premier objectif est, bien évidemment, de permettre aux enfants sourds de communiquer à travers une correspondance avec des enfants entendants. Cependant, il ne sera réellement atteint que si ces échanges s’établissent dans la durée afin de tisser une relation extrêmement riche.
Le second objectif du projet est d’utiliser la correspondance sur Internet comme un outil de communication, servant de support à différents projets pédagogiques. L’outil doit être suffisamment souple pour s’adapter à des utilisations pédagogiques différentes.

4.2. Le cadre du Projet

Depuis longtemps, le monde éducatif a développé les activités d’échanges basées sur la correspondance scolaire. Outil de communication par excellence, Internet est donc particulièrement adapté aux activités éducatives.
Le projet décrit ci-après s’inscrit dans un triple cadre :
? le cadre général réglementaire régissant l'intégration des personnes handicapées,
? celui de l’Education Nationale, qui définit les ambitions de l’institution dans le domaine de l’écrit et de l’utilisation d'Internet,
? et enfin celui fixé par l’enseignant dans son projet de classe à savoir l’organisation des activités de correspondance.

4.2.1. Le cadre réglementaire

Dans les années 70, on observe une prise de conscience nationale pour l'épanouissement et le devenir des handicapés.
En 1975, la Loi d’intégration des personnes handicapées dispose par son article premier :
“ La prévention et le dépistage des handicapés, les soins, l’éducation, la formation et l’orientation professionnelle, l’emploi, la garantie d’un minimum de ressources, l’intégration sociale et l’accès aux sports et aux loisirs du mineur et des adultes handicapés physiques, sensoriels ou mentaux constituent une obligation nationale ”.
C'est avec la Loi d'orientation sur l'éducation de 1989 (« les technologies modernes au service de l'éducation ») que l'outil informatique est reconnu en tant que dispositif d'apprentissage pouvant favoriser la réduction de l'échec scolaire :
"L'informatique est une technique et une science autonome. Mais c'est également un outil d'enseignement permettant une meilleure individualisation de l'apprentissage, des situations pédagogiques nouvelles et le développement des capacités logiques et organisatrices. Elle peut être notamment mise au service des élèves qui courent un risque d'échec scolaire".
Enfin la Circulaire du 18 novembre 1991 relative à l'intégration scolaire des enfants et adolescents handicapés, légitime l'utilisation pédagogique de l'outil informatique dans l'éducation spécialisée pour réduire le handicap, préparer la maîtrise des techniques et favoriser l'expression personnelle.

4.2.2. Internet et l’Education Nationale

Soucieux de ne pas doubler la fameuse “ fracture sociale ” d’une “ fracture numérique ”, les Pouvoirs Publics choisissent de donner une nouvelle impulsion à l’utilisation d'Internet à l’école.
L’objectif affiché est de ne laisser aucun élève sur le bord du chemin menant à la révolution numérique en donnant à tous les moyens de comprendre et d’utiliser les outils liés aux Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Education (TICE).
Concrétisation de cette volonté, largement partagée, il faut le noter, par l’ensemble des sensibilités de l’échiquier politique, le premier volet du Programme Action Gouvernemental pour la Société de l’Information (PAGSI) se donne pour objectif que “ chaque élève, de la maternelle à l’université, pourra accéder, dans un cadre pédagogique, à une activité sur un support numérique ou audiovisuel classique : manipulation et dessin informatique dès la maternelle, courrier électronique dès le cours élémentaire, accès au Web dans le cours moyen, travail en réseau dès le collège, adresse personnelle dès le bac. ”
C’est dans ce contexte que le Ministre de l’Education Nationale a annoncé, à la rentrée 2000, que l’ensemble des écoles devraient être connectées à Internet d’ici 2002. Ce programme passe, dans un premier temps, par la création d’écoles pilotes puis, dans un second temps, par un élargissement de la formation des enseignants.
Ce dispositif a été complété par la création d’un Brevet Informatique et Internet (B2I) présenté par le Ministre de l’Education Nationale le 20 Juin 2000. Ce brevet, dont l’objectif est de sanctionner l’acquisition d’un ensemble de compétences dans le domaine des technologies de l’information et de la communication, sera ouvert tant aux élèves de l’école primaire que du collège. D’ores et déjà, les collégiens peuvent le présenter, les autres élèves pouvant y accéder à compter de 2003 à la sortie de l’école primaire. Les pré-requis nécessaires à l’obtention de ce brevet sont spécifiés dans le Bulletin Officiel.
La création de ce brevet va, outre faciliter l’acquisition des connaissances nécessaires à l’utilisation des TICE par les élèves, certainement donner une impulsion supplémentaire tant à la diffusion de la culture Internet dans les écoles qu’à la formation et à la mise à niveau des enseignants dans ce domaine.

4.2.3. Le projet de classe

Issu de la synthèse des besoins des élèves (recueil de données, évaluation de départ), de leurs envies, de la pratique pédagogique du maître, des objectifs généraux correspondants au cycle scolaire, le projet de classe constitue l'ossature de nombreuses activités de la classe tout au long de l'année scolaire.
Ainsi l’utilisation d'Internet peut favoriser la communication des jeunes Sourds avec des entendants, la socialisation, la citoyenneté, la culture, et surtout la maîtrise de l’écrit.
« L’accès à une bonne maîtrise de la langue et de la culture écrite est une condition essentielle scolaire, et, au-delà, à la réussite sociale. Elle est, pour cette raison, l’objectif premier de l’école primaire »

4.3. La mise en œuvre pratique des activités de correspondance

Les activités de correspondance décrites ci-dessous représentent la partie concrète de ce mémoire.
Afin de tirer parti du potentiel d'Internet, ces activités sont organisées autour des deux principaux outils de correspondance d’Internet :
? L’e-mail ;
? Le Chat ;
Outre le fait que chacun de ces outils apporte ses spécificités au service de l’enseignement aux jeunes Sourds, la combinaison de ces deux supports renforce l’intérêt des élèves en évitant ainsi toute lassitude.

4.3.1. Le niveau des élèves

L’idéal est que les jeunes Sourds soient entrés dans le monde de l’écrit. Cependant, la correspondance par Internet s’effectue aussi par l’échange d’images, de dessins ou par l’intermédiaire d’une webcam .
L’expérience montre que de très jeunes enfants sont rapidement capables d’utiliser les micro-ordinateurs de façon intuitive. Des activités peuvent être mises en place, même si les jeunes Sourds ne savent ni lire ni écrire.

4.3.2. Le choix de la classe

Il existe de nombreuses listes de diffusion, disponibles sur Internet, notamment sur des sites de classes, indiquant des classes de correspondants potentiels.
Cependant, il convient d’en choisir une qui permet d’organiser une rencontre entre les deux classes. En effet, il est important, dès lors qu’ils sont amenés à travailler ensemble durant toute l’année, que les enfants entrent en contact physique à un moment donné.
C’est pourquoi, il semble souhaitable, tant pour des raisons budgétaires que pratiques, de choisir une classe se situant dans la même région.

4.3.3. La correspondance par e-mail

La correspondance par e-mail est le moyen de correspondance le plus courant sur Internet. Il se caractérise par l’échange de messages électroniques entre des élèves, pendant une période qui peut durer d’autant plus longtemps que la communication s’effectue de façon asynchrone : les messages peuvent être échangés selon le rythme choisi par les enseignants.
L’objectif principal est bien entendu de tirer profit de la communication avec des entendants. Il s’agit par ce biais d’échanger des messages et d’écrire une histoire collective, afin d’améliorer la langue écrite, mais aussi la langue orale en lisant des épisodes. Cependant, l’échange ne se limite pas à l’écrit, le courrier électronique pouvant contenir, sous forme de pièces jointes, des photos ou des dessins.
Concrètement, l’activité de correspondance par e-mail peut s’effectuer en plusieurs étapes :
Mettre en place l’atelier  “ e-mail ”
La fréquence s’ajuste selon la motivation et l’efficacité de cet atelier. A priori je me baserais sur une plage horaire d’une heure et demie par semaine pour faire de l’atelier un moment attendu et désiré.
 Apprendre à se connaître
La première phase de la correspondance consiste, à apprendre à se connaître à travers un jeu de questions :
“ Qui est qui ? ”
Comment t’appelles-tu ? Quel âge as-tu ? Comment es-tu physiquement ? Quels sont tes passe-temps favoris ?...
J’envoie ensuite une photo de classe accompagnée des traits caractéristiques des élèves. Les correspondants doivent ensuite identifier les élèves.
Cette présentation incite l’élève à écrire : il s’amuse à se décrire.
“ Fais-moi signe ”
A l’aide d’une webcam placée au dessus du moniteur de l’ordinateur, je demande aux enfants de se présenter en “ signant ”. Chaque enfant a en effet son signe distinctif qui lui sert de prénom.
“ Où habite-t-il ? ”
Nous repérons les villes d’origine de nos correspondants, puis nous indiquons par des punaises leur emplacement sur une grande carte de France accrochée dans la classe.
Cette activité permet à l’élève de situer les villes par rapport à la sienne, mais aussi par rapport aux autres grandes villes.
Les devinettes
Les devinettes, bien connues de tous, sont une activité enrichissante sous couvert d’un divertissement.
Il s’agit pour les enfants sourds de chercher puis d’écrire une devinette en dactylologie (alphabet gestuel de la L.S.F) afin que les enfants entendants décodent, puis envoient la solution.
Tout d’abord, nous envoyons l’alphabet dactylologique à la classe correspondante.
Puis, après avoir installé la police de caractère de dactylologie sur notre ordinateur, nous posons nos devinettes.
Exemple
quel est l’animal qui marche sur la tete ?
(Quel est l’animal qui marche sur la tête?)
Sensibiliser à la culture sourde à travers des devinettes : eh oui, c’est possible en s’amusant.
Utiliser la dactylologie avec des entendants, c’est ne pas cacher sa surdité, c’est s’identifier comme Sourd mais c’est aussi initier les entendants à la culture sourde.
“ Une histoire de correspondance ”
Les TICE permettent de correspondre avec des dessins, des photos, des images, des vidéos et des textes via Internet. L’outil informatique est donc utilisé pour intégrer les activités d’écriture adaptées au niveau de l’enfant sourd.
Gérer l’hétérogénéité des élèves face à l’écrit
Dans la classe, les enfants sourds ont des niveaux différents face à l’écrit. Il convient, dans un premier temps, de les évaluer à travers de petits exercices de production d’écrit. Certains ont besoin d’aide pour écrire et d’autres se débrouillent seuls.
Les productions de documents multimédias à l’école sont multiples et correspondent à tous les niveaux des élèves. Ainsi la correspondance scolaire via Internet est diversifiée : tantôt les enfants privilégient le dessin annoté ou le roman photos, tantôt ils rédigent les épisodes d’une histoire.
 Dans ce contexte, je propose trois activités :

Une histoire de dessins
La communication se fait aussi par des images, des dessins, comme une bande dessinée. Pour des enfants sourds en difficulté avec la langue écrite, cette activité donne du sens à l’écrit. En effet, les enfants sourds utilisent une communication gestuelle et quelquefois des mimiques. Ils s’expriment par image. Il leur est donc plus facile de passer par la phase du dessin pour évoquer une idée.
Après avoir vu la structure d’un conte au travers de différents albums, les enfants choisissent des personnages et les lieux. Il s’agit ensuite de mettre ces personnages en action afin de créer une histoire.
Avec mon aide, ils annotent leurs dessins.
Un diaporama est possible avec un logiciel d’animation afin de rendre l’histoire vivante.
Le roman photo
Cette activité consiste à créer une histoire que l’on met en situation avec de vrais personnages grâce à l’appareil photo numérique. Les enfants inventent dans un premier temps un scénario. Sur des feuilles blanches, ils griffonnent les “ plans ”, accompagnés de dialogues qui seront mis dans les phylactères (bulles ou rectangles de commentaires). Après leur story-board, les enfants prennent les photos, en utilisant les fonctions de l’appareil numérique : zoom avant, zoom arrière, effets de flou, ... Grâce à l’appareil photo numérique, les enfants prennent autant de photos qu’ils le souhaitent et les visualisent aussitôt par transfert sur ordinateur. Grâce à des logiciels, il est possible de retoucher les photos jusqu’à la caricature. Les enfants écrivent ensuite les conversations des acteurs tout en respectant les spécificités du dialogue : tirets, points d’exclamation, d’interrogation, utilisation du “ je ”....
Une histoire à épisodes
Il s’agit d’inventer une histoire à épisodes avec les correspondants. Cette activité repose sur une approche beaucoup plus centrée sur l’écriture d’une histoire.
Les deux classes se mettent d’accord sur le sujet de l’histoire, l’environnement, du type : “  Robinson sur une île ”, “ Les malheurs de Sophie ”, ...mais les enfants auront sûrement plus d’idées.
Le thème choisi, le décor planté, nous commençons par inventer un épisode. Pendant la rédaction, des dessins ou animations illustrent l’épisode. Les enfants sourds ont beaucoup de mal à maîtriser la langue française écrite et orale. Lorsqu’ils écrivent, ils admettent difficilement les fautes d’orthographe, les mettant en situation d’échec. Les activités de traitement de texte améliorent l’expression écrite et la structuration des idées.
Les élèves écrivent à tour de rôle, deux, trois phrases cohérentes, qui constituent l’épisode, sur un traitement de texte, Word par exemple. Après avoir écrit l’épisode sur un traitement de texte, les enfants l’envoient par e-mail accompagné des éléments qu’ils veulent joindre à l’histoire (dessins, photos, ...).
Aux correspondants d’inventer l’épisode suivant. C’est ainsi, qu’à tour de rôle, les épisodes construisent l’histoire. Si l’ordinateur est relié à un rétroprojecteur multimédia, l’épisode reçu peut être vu par tous sur grand écran. Cette activité réconcilie donc les élèves avec la lecture.
Les élèves déchiffrent à tour de rôle, à voix haute, les différents composants qui au fur et à mesure prennent du sens, constituant ainsi le message.

4.3.4. La correspondance par “ chat ”

Communiquer en direct et en temps réel avec des entendants, c’est possible grâce au « chat ».
Le « chat » permet d’initier les Sourds à la conversation avec les entendants. Ils dialoguent ainsi sans préjugé, sans problème de langue et pourtant en temps réel. Le « chat » a sa propre langue mais aussi sa propre culture. On se ne soucie pas des problèmes d’orthographe, mais bien au contraire on va simplifier la langue écrite au maximum pour échanger le maximum d’idées.
Le « chat », terme anglais, est souvent appelé « tchache » en français. C’est dire qu’il s’agit d’une véritable conversation, en direct, mais qui se fait par l’intermédiaire du clavier, ... et d’Internet. Avec le « chat », les jeunes Sourds sont amenés à conduire une véritable conversation avec des entendants, en temps réel : envoi de messages, réponses, ... La communication est immédiate, les échanges fusent. C’est ainsi que, contrairement à la messagerie électronique, où la réponse au message peut être différée, le « chat » conduit l’enfant sourd à engager une communication spontanée avec son correspondant entendant.
J’utilise ici le terme de conversation parce qu’il s’agit bien d’un “ parlé écrit ”. Eh oui, on écrit comme on parle ! Bien entendu il est hors de question de compter sur le « chat » pour apprendre aux jeunes Sourds la syntaxe et l’orthographe : celles-ci sont au contraire mises à rude épreuve.
Nous sommes en fait confrontés à une nouvelle forme linguistique dont tout l’intérêt, outre le fait qu’elle donne aux jeunes sourds et entendants un langage commun, est de développer la rapidité intellectuelle et la spontanéité.
Mise en œuvre
Après avoir déterminé l’horaire de rendez-vous, les enfants entament le dialogue.
Les élèves choisissent leur pseudonyme, drôle ou sérieux, mais qui leur est personnel.
Un sujet de conversation est lancé, ce sera le “ sujet du jour ”, où chacun donne son point de vue.
Exploitation ultérieure du chat dans la lecture
Ces conversations sont enregistrées puis imprimées afin d’exercer a posteriori un esprit critique. Je demande ensuite à l’élève de lire ce qu’il vient d’écrire. Le « chat » devient alors un écrit oralisant.
Pour les Sourds, il s’agit d’un entraînement à lire et à parler.

4.3.5. Les apports de la correspondance par Internet pour les sourds

Acquisition d’un savoir-faire  technologique
L’usage d'Internet permet aux jeunes Sourds de s’approprier, de façon concrète et pratique, un outil de correspondance qui connaît actuellement un développement exponentiel, un outil qu’ils peuvent s’approprier par tâtonnement. Les élèves acquièrent ainsi un savoir-faire multimédia :

Le nouveau comportement face à l’écrit
Les activités de correspondance suscitent l’intérêt pour l’acquisition de la langue écrite que les jeunes sourds ont tant de mal à apprendre. Ils se rendent ainsi compte qu’il est important de maîtriser la syntaxe et la grammaire pour correspondre. Ils sont dans une “ communication vraie”, une communication qui a un sens. Ils découvrent ainsi d’eux-mêmes les règles grammaticales en lisant les écrits des correspondants ou en voulant formuler leur propres idées. Ainsi toutes les questions posées aux correspondants requièrent une expression claire et la connaissance de la structure d’une question : pronom interrogatif, inversion de la forme verbale, point d’interrogation, ... Si la réponse ne convient pas, c’est que l’élève n’a pas bien formulé la question ; il se peut aussi qu’il y ait une incompréhension de l’autre côté.
On écrit pour communiquer, pour être lu. De plus, la rapidité de l’e-mail rend l’envoi et la réception des messages plus rapide, permettant des échanges nombreux. On écrit un message, on lit la réponse du correspondant, on réécrit, ... Il est important de souligner que lire et écrire sont deux activités complètement liées et complémentaires. Les compétences développées en lecture sont réinvesties en écriture, de même qu’apprendre à écrire développe des capacités linguistiques qui faciliteront la lecture.
Les enfants manipulent et utilisent, seuls, l’outil informatique avec aisance. En effet, ils allument l’ordinateur, reconnaissent les touches du clavier, cliquent sur les icônes, prennent et envoient le courrier, utilisent des logiciels... et cela sans l’intervention de l’enseignant. Certains se montrent débrouillards, testent des touches et trouvent eux même des astuces pour aller plus vite, pour trouver des raccourcis, pour dépanner l’ordinateur bloqué. Ils acquièrent ainsi un savoir-faire technologique.
L’usage de cet outil par les jeunes sourds se fait d’autant plus facilement que leur déficience ne constitue pas un handicap et qu’il leur permet, au contraire, de progresser dans le domaine de l’écrit sans la crainte de se tromper. Les enfants se trouvent à armes égales devant la machine : un bon niveau dans les matières traditionnelles (français, mathématiques) n’est pas un gage de réussite face à l’ordinateur.
Les nouvelles relations
Avec les autres enfants sourds
Les élèves dialoguent, établissent des échanges enrichissants et variés. Ils travaillent en groupe et se lient d’amitié avec des camarades. Grâce à ces activités, ils écoutent, collaborent et partagent un projet. La personnalité des enfants sourds s’affirme alors.
Avec les enfants entendants
Ces conversations en direct constituent un terrain propice à l’amitié. Elles renforcent les liens entre les correspondants. Les idées fusionnent dans ces dialogues, sans que l’on puisse distinguer la communauté sourde de celle entendante. Les opinions sont propres à soi et non à une culture. La correspondance via Internet va permettre aux enfants entendants de mieux accepter les enfants atteints d’un handicap, d’une déficience auditive. Le respect de la différence se fait, avant tout, dans la connaissance du handicap. Ainsi certains aspects de l’éducation civique, tels que le respect de l’autre, notamment des personnes malades et handicapées, le sens du débat démocratique, l’écoute de la parole d’autrui, ne sont plus des disciplines à enseigner mais à vivre au travers des activités de correspondance.
Avec l’enseignant
L'outil informatique établit de nouveaux rapports entre l'apprenant et l'enseignant, en dissociant partiellement connaissance et relationnel. Ainsi le maître réorganise le rapport entre l'affectif et le cognitif. Il atténue sa position d'autorité et offre de nouvelles chances de prise de confiance en soi à l'élève dans le domaine de l'écrit. L'enfant prend des initiatives, il est acteur et travaille à son rythme ; ce qui est avantageux car dans les classes d'élèves sourds, les niveaux dans la langue écrite sont hétérogènes. La correspondance via Internet par sa qualité interactive, est un dispositif d'aide à l’apprentissage et introduit une nouvelle médiation qui s'ajoute à celle de l'enseignant. Ce dispositif, qui n'est autre qu'un système d'apprentissage, permet des interactions entre l'utilisateur et son environnement.

4.4.  Les moyens à mettre en œuvre

De manière générale, les communes fournissent le matériel informatique et en assurent le bon fonctionnement. Elles financent aussi l’aménagement des salles, les blindages des portes et la maintenance du matériel.

4.4.1. Le matériel informatique

Il n’est pas nécessaire d’avoir un ordinateur puissant. Toutefois, il faut privilégier le matériel récent avec un disque dur approprié pour y installer des logiciels de traitement de texte, pour télécharger des fichiers et pour contenir des informations vidéos et sonores. La présence d’une webcam est indispensable, notamment pour les prises de vue où l’enfant signe.

4.4.2. Les connexions Internet

La connexion à Internet suppose de souscrire un abonnement auprès d’un fournisseur d’accès. Il existe de grandes différences de tarifs d’un fournisseur à l’autre. Notons que la plupart des abonnements ne comprennent pas les frais de communication.
Il vaut mieux demander l’avis d’un connaisseur auprès d’un « point média conseil », lieu destiné à promouvoir l’usage des techniques éducatives auprès des enseignants.

4.4.3. La salle de classe

Il est bien pratique d’avoir son propre espace informatique dans la classe.
A défaut, un projet solide peut conduire à une subvention financière pour l’achat d’un ordinateur pour la classe.
L’emplacement doit être judicieux, accessible à tous, sans provoquer d’encombrement.
Il faut prêter attention à l’emplacement des prises électriques et faire appel à un technicien spécialisé dans les normes de sécurité.
Si la connexion Internet ne peut se faire, faute de prise téléphonique, l’envoi des e-mails ainsi que leur réception doit s’effectuer sur un ordinateur extérieur.

4.4.4. Le budget

En Seine-et-Marne, les écoles de Sourds sont privées et financées par des associations.
Bien qu’Internet doive systématiquement être installé dans les écoles publiques depuis l’an 2000, le statut des classes de Sourds ne relève pas de ces dispositions.
Les budgets afférents ne sont donc pas prévus. On peut alors se demander si la mise à disposition de personnel spécialisé par l’Education Nationale ne pourrait s’accompagner d’une subvention pour l’achat de matériel informatique dédié à Internet.
A titre d’illustration, j’ai sondé les écoles de Seine-et-Marne accueillant les élèves sourds.
Ecole Primaire Montaigu (Melun)
Le budget de l’école primaire intégrée Montaigu à Melun, est alloué par l’association « Langage et Intégration ».
Le directeur, qui assure également les fonctions de gestionnaire, dispose de 300.000 F d’investissement en matériel. De ce budget, environ 20.000F sont affectés chaque année à l’achat de matériel informatique. Dans ce contexte, les quatre classes d’élèves sourds disposent chacune d’un ordinateur récent. En revanche, les accès à Internet ne sont pas encore mis en place. Cependant, des connexions Internet devraient être opérationnelles pour la rentrée 2001.
Collège Saint-Louis (Lieusaint)
Le collège Saint–Louis à Lieusaint intègre trois classes d’enfants sourds. Il reçoit annuellement des dotations du Conseil Général et du Rectorat. Il disposait jusqu’à présent de 20 ordinateurs.
Dans le cadre du projet “ 2000 ordinateurs en l’an 2000 ”, le Conseil Général a décidé d’offrir 2.000 ordinateurs répartis dans tous les collèges de Seine-et-Marne. Le collège Saint-Louis vient ainsi de bénéficier de 13 postes Ceux-ci sont reliés à Internet. Toutes les classes peuvent bénéficier de l’outil informatique et d’Internet.
Ecole Laurent Clerc (Champs-sur-Marne)
A Champs-sur-Marne, les trois CLIS (Classe d’Intégration Scolaire), option déficients auditifs de l’école Laurent Clerc, sont gérées par l’association ADELC.  (Association pour le Développement de Laurent Clerc). Celle-ci a doté chaque classe d’un ordinateur, d’une imprimante et de logiciels de lecture. Un ordinateur est relié au réseau Internet et est équipé d’un scanner. Malheureusement, l’association n’a pas prévu de budget pour la maintenance. Ainsi des imprimantes en panne sont mises de côté faute de réparation.

4.4.5. La formation des enseignants

Alors que l’informatique est devenue depuis longtemps un instrument de travail indispensable pour la plupart des employés du secteur tertiaire - presque tous disposent d’un micro-ordinateur individuel -, son utilisation ne se généralise que plus lentement dans le secteur de l’éducation.
Cette situation est logique : la pédagogie au quotidien dispose de nombreux autres outils. De ce fait, beaucoup d’enseignants, faute d’une utilisation régulière ou tout simplement d’intérêt personnel, présentent des lacunes dans ce domaine. Or, nous vivons aujourd’hui dans un monde où le multimédia prend une place à la fois de plus en plus prépondérante mais aussi de plus en plus banalisée : les plus jeunes manipulent bien souvent la souris avant même le stylo. Les plus réfractaires devront s’y mettre à leur tour, quitte à souffrir temporairement d’une allergie qui, heureusement, disparaîtra bien vite une fois l’outil informatique maîtrisé.
Bien sûr, il est plus facile de progresser en informatique et dans le domaine de l'Internet quand on est soi-même passionné et que l’on possède un ordinateur.
Rappelons que certains projets de classe ou d’école peuvent faire appel à un intervenant en informatique.
A ce jour, les formations initiale et continue, ainsi que les animations pédagogiques dispensées aux enseignants, comportent fréquemment un volet relatif aux technologies de l’information. Pour soutenir cet effort de modernisation entrepris, dès la rentrée 2000, chacune de ces formations réservera un temps significatif à la pratique de ces technologies pour un meilleur apprentissage dans le cadre disciplinaire abordé.

5. Conclusion

Les stages et quelques réflexions personnelles m’ont permis de préparer plusieurs activités pédagogiques et éducatives pour les élèves sourds.
L’objectif est de placer ces enfants dans des situations stimulantes d’apprentissage d’écrit en les mettant en correspondance avec des enfants entendants.
Certes, sans tomber dans une utilisation exclusive d'Internet, les TICE offrent une plus grande ouverture vers l’extérieur, favorisant ainsi par la découverte, les situations d’échange, le dialogue, l’accès à la citoyenneté et aux apprentissages.
Ce mémoire développe l’idée qu’Internet devient un outil pédagogique pertinent dont l’enseignement spécialisé devrait se saisir. Faire l’impasse sur cette nouvelle technologie reviendrait à exclure davantage les élèves sourds de la société.
Dans ce contexte, le champ de l’adaptation et de l’intégration scolaire auquel je souhaite contribuer doit rester innovant.
Le plan d’action résultant de ce mémoire constituera la base de mon projet de classe pour la prochaine rentrée scolaire. Ce sera alors l’occasion de confronter les idées à la réalité du terrain. Cette future mise en situation suppose bien évidemment un aménagement progressif, « en douceur », des activités de correspondance. Enfin, elle devra surtout s’appuyer sur les échanges avec mes futurs collègues enseignants afin de bénéficier de leur expérience pédagogique.
 

Bibliographie

Ouvrages
CARRIER Jean-Pierre, L’école et le multimédia, Hachette Education, coll Ressources Formation, Paris, 2000
DEVAUCHELLE Bruno, Multimédiatiser l’école?, Hachette Education, coll Pédagogies pour demain, Paris 1999
FUSTER Philippe, JEANNE Philippe, Se former à l’éducation et à l’enseignement spécialisés, Bordas, Liège, 1999
MOREAU Yves, TOURNON Michel, L’informatique à l’école, Bertrand Lacoste, coll Parcours didactiques l’école, Paris, 1999
VIROLLE Benoît, Psychologie de la surdité, DeBoeck Université, Paris, 2000
Revues
Courrier de Suresnes, n°45, 1986
Guide pour les enseignants qui accueillent un élève sourds, Handiscol, 2000
Les dossiers de l’ingénierie éducative, n°33, Décembre 2000, publication du C.N.D.P (Centre National de Documentation Pédagogique)
Les dossiers de l’ingénierie éducative, n°32, Octobre 2000, publication du C.N.D.P
Les dossiers de l’ingénierie éducative, n°24, décembre 1996, publication du C.N.D.P
Sites
smileys : http://www.freegaia.com/smil-class1.htm
netiquette: http://www-inf.enst.fr/~vercken/netiquette/
Dictionnaire web : http://www.webmag.fr/
Multimédia et pratique pédagogique :
http://perso.wanadoo.fr/patrick.naud/cafipemf3bis.htm
Institut Gustave Baguer : http://perso.wanadoo.fr/institut.baguer/
 


Lexique

   INTERNET : Réseau mondial d’ordinateur de toutes tailles interconnectés par le protocole IP (Internet Protocol)

  ARPANET : (Anglais : Advanced Research Projects Agency NETwork). Le projet de défense américain à l'origine du développement de l'Internet (fin des années 60 et début 70). L'objectif consistait à construire un réseau informatique indestructible (en cas de bombe, attaque nucléaire, panne d'un serveur, etc.). Si l'une des liaisons est brisée, l'information transite par d'autres chemins (d'autres serveurs reliés au réseau) pour atteindre ses destinataires.

  World Wide Web : A l'origine du développement d'Internet dans le grand public. Service Internet d'accés aux ressources du réseau à partir de liens hypertexte, des pointeurs sur lesquels il suffit de cliquer pour se connecter en toute simplicité sur d'autres serveurs ou pour accéder à une information spécifique

  e-mail : courrier électronique sur Internet. Equivalents français : message électronique, courriel, Mél. Un message électronique parvient n'importe où dans le monde en quelques secondes ou minutes. De plus, le destinataire n'est pas obligé d'être présent pour recevoir le message car les messages sont stockés chez son fournisseur d'accès Internet

   Internaute : utilisateur de l'internet.On rencontre aussi le terme " cybernaute ". (Journal officiel du 16 mars 1999 "Vocabulaire de l'informatique et de l'internet")

  P.C. : (Personnal Computer). Ordinateur personnel. Nom donné à une génération d'ordinateurs conçue à l'origine pour être utilisée individuellement.

  Web ; diminutif de World Wide Web

  Cyberexclus : personne exclue de l’accès au réseau mondial que ce soit par manque de connaissance ou par manque de moyens, les deux allant souvent de pair.

 Chat : de l’anglais «to chat » = bavarder. Sans traduction française satisfaisante. Une discussion en ligne en temps réel

  Smileys : émoticons ou émoticônes. Suite de caractères exprimant une émotion, un sentiment (par exemple :-) pour la joie, :-( pour la tristesse, ;-) pour un clin d'œil...). Il faut pencher la tête vers la gauche pour les déchiffrer.

  Webcam : Caméra fournissant des images en direct à un site Web, on parle aussi de Livecam ou de Netcam.


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